[3] Messieurs,
Je n'ai pas encore mis sous vos yeux le plan entier de mon cours.
J'ai commencé par en indiquer l'objet, puis j'ai marché
devant moi sans considérer dans son ensemble la civilisation
européenne, sans vous indiquer à la fois le point de
départ, la route et le but, le commencement, le milieu et la
fin. Nous voici cependant arrivés à une époque
où cette vue d'ensemble, cette esquisse générale
du monde [4] que nous parcourons, devient nécessaire.
Les temps que nous avons étudiés jusqu'ici s'expliquent
en quelque sorte par eux-mêmes, ou par des résultats
prochains et clairs. Ceux où nous allons entrer ne sauraient
être compris, ni même exciter un vif intérêt,
si on ne les rattache à leurs conséquences les plus
indirectes, les plus éloignées. Il arrive, dans une
si vaste étude, un moment où l'on ne peut plus se résoudre
à marcher en n'ayant devant soi que de l'inconnu, des ténèbres;
on veut savoir non seulement d'où l'on vient et où l'on
est, mais où l'on va. C'est ce que nous sentons aujourd'hui.
L'époque que nous abordons n'est intelligible, son importance
n'est appréciable que par les rapports qui la lient aux temps
modernes. Son vrai sens n'a été révélé
que fort tard. Nous sommes en possession de presque tous les élémens
essentiels de la civilisation européenne. Je dis presque, car
je ne vous ai pas encore entretenus de la royauté. La crise
décisive du développement de la royauté n'a guère
eu lieu qu'au douzième et même au treizième siècle;
c'est alors seulement que l'institution s'est vraiment constituée,
et a commencé à prendre, dans la société
moderne, sa place définitive. Voilà pourquoi je n' en
ai pas traité [5] plus tôt; elle sera l'objet
de ma prochaine leçon. Sauf celui-là, nous tenons, je
le répète, tous les grands élémens de
la civilisation européenne: vous avez vu naître sous
vos yeux l'aristocratie féodale, l'église, les communes;
vous avez entrevu les institutions qui devaient correspondre à
ces faits; et non seulement les institutions, mais aussi les principes,
les idées que les faits devaient susciter dans les esprits:
ainsi, à propos de la féodalité, vous avez assisté
au berceau de la famille moderne, aux foyers de la vie domestique;
vous avez compris, dans toute son énergie, le sentiment de
l'indépendance individuelle, et quelle place il avait dû
tenir dans notre civilisation. A l'occasion de l'église, vous
avez vu apparaître la société purement religieuse,
ses rapports avec la société civile, le principe théocratique,
la séparation du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel,
les premiers coups de la persécution, les premiers cris de
la liberté de conscience. Les communes naissantes vous ont
laissé entrevoir une association fondée sur de tout
autres principes que ceux de la féodalité ou de l'église,
la diversité des classes sociales, leurs luttes, les premiers
et profonds caractères des moeurs bourgeoises modernes, la
timidité d'esprit à côté de l'énergie
de l'âme, l' esprit démagogique [6] à côté
de l'esprit légal. Tous les élémens en un mot
qui ont concouru à la formation de la société
européenne, tout ce qu'elle a été, tout ce dont
elle a parlé, pour ainsi dire, ont déjà frappé
vos regards.
Transportons-nous cependant, Messieurs, au sein de l'Europe moderne;
je ne dis pas même de l'Europe actuelle, après la prodigieuse
métamorphose dont nous avons été témoins,
mais dans les 17e et 18e siècles. Je
vous le demande; reconnaîtrez-vous la société
que nous venons de voir au 12e? Quelle immense différence!
J'ai déjà insisté sur cette différence
par rapport aux communes: je me suis appliqué à vous
faire sentir combien le tiers-état du 18e siècle
ressemblait peu à celui du 12e. Faites le même
essai sur la féodalité et sur l'église; vous
serez frappé de la même métamorphose. Il n'y avait
pas plus de ressemblance entre la noblesse de la cour de Louis XV
et l'aristocratie féodale, entre l'église du cardinal
De Bernis et celle de l'abbé Suger, qu'entre le tiers-état
du 18e siècle et la bourgeoisie du 12e.
Entre ces deux époques, quoique déjà en possession
de tous ses élémens, la société tout entière
a été transformée.
Je voudrais démêler clairement le caractère général,
essentiel de cette transformation.
[7] Du 5e au 12e siècle, la société
contenait tout ce que j'y ai trouvé et décrit, des rois,
une aristocratie laïque, un clergé, des bourgeois, des
colons, les pouvoirs religieux, civil, les germes en un mot de tout
ce qui fait une nation et un gouvernement, et pourtant point de gouvernement,
point de nation. Un peuple proprement dit, un gouvernement véritable
dans le sens qu'ont aujourd'hui ces mots pour nous, il n'y a rien
de semblable dans toute l'époque dont nous nous sommes occupés.
Nous avons rencontré une multitude de forces particulières,
de faits spéciaux, d'institutions locales; mais rien de général,
rien de public, point de politique proprement dite, point de vraie
nationalité.
Regardons au contraire l'Europe au 17e et au 18e
siècle; nous voyons partout se produire sur la scène
du monde deux grandes figures, le gouvernement et le peuple. L'action
d'un pouvoir général sur le pays tout entier, l'influence
du pays sur le pouvoir qui le gouverne, c'est là la société,
c'est là l'histoire: les rapports de ces deux grandes forces,
leur alliance ou leur lutte, voilà ce qu'elle trouve, ce qu'elle
raconte. La noblesse, le clergé, les bourgeois, toutes ces
classes, toutes ces forces particulières ne paraissent [8]
plus qu'en seconde ligne, presque comme des ombres effacées
par ces deux grands corps, le peuple et son gouvernement.
C'est là, Messieurs, si je ne m'abuse, le trait essentiel qui
distingue l'Europe moderne de l'Europe primitive; voilà la
métamorphose qui s'est accomplie du 13e au 16e
siècle.
C'est donc du 13e au 16e siècle, c'est-à-dire
dans l'époque où nous entrons, qu'il en faut chercher
le secret; c'est le caractère distinctif de cette époque,
qu'elle a été employée à faire de l'Europe
primitive l'Europe moderne; de là son importance et son intérêt
historique. Si on ne la considérait pas sous ce point de vue,
si on n'y cherchait pas surtout ce qui en est sorti, non seulement
on ne la comprendrait pas, mais on s'en lasserait, on s'en ennuierait
promptement. Vue en elle-même en effet, et à part de
ses résultats, c'est un temps sans caractère, un temps
où la confusion va croissant sans qu'on en aperçoive
les causes, temps de mouvement sans direction, d'agitation sans résultat;
royauté, noblesse, clergé, bourgeois, tous les élémens
de l'ordre social semblent tourner dans le même cercle, également
incapables de progrès et de repos. On fait des tentatives de
tout genre toutes échouent: on tente d'asseoir les [9]
gouvernemens, de fonder les libertés publiques; on tente même
des réformes religieuses; rien ne se fait, rien n'aboutit.
Si jamais le genre humain a paru voué à une destinée
agitée et pourtant stationnaire, à un travail sans relâche
et pourtant stérile, c'est du 13e au 15e
siècle que telle est la physionomie de sa condition et de son
histoire.
Je ne connais qu'un ouvrage où cette physionomie soit empreinte
avec vérité; c'est l'Histoire des ducs de Bourgogne,
de M. de Barante. Je ne parle pas de la vérité qui
brille dans la peinture des moeurs, dans le récit détaillé
des événemens; mais de cette vérité générale
qui fait du livre entier une image fidèle, un miroir sincère
de toute l'époque, dont il révèle en même
temps le mouvement et la monotonie.
Considérée au contraire dans son rapport avec ce qui
l'a suivie, comme la transition de l'Europe primitive à l'Europe
moderne, cette époque s'éclaire et s'anime; on y découvre
un ensemble, une direction, un progrès; son unité et
son intérêt résident dans le travail lent et caché
qui s'y est accompli.
L'histoire de la civilisation européenne peut donc se résumer,
messieurs, en trois grandes périodes: 1º Une période
que j'appellerai celle [10] des origines, de la formation;
temps où les divers élémens de notre société
se dégagent du chaos, prennent l'être et se montrent
sous leurs formes natives avec les principes qui les animent; ce temps
se prolonge presque jusqu'au douzième siècle. 2º
La seconde période est un temps d'essai, de tentative, de tâtonnement;
les élémens divers de l'ordre social se rapprochent,
se combinent, se tâtent, pour ainsi dire, sans pouvoir rien
enfanter de général, de régulier, de durable;
cet état ne finit, à vrai dire, qu'au seizième
siècle. 3º Enfin la période du développement
proprement dit, où la société humaine prend en
Europe une forme définitive, suit une direction déterminée,
marche rapidement et d'ensemble vers un but clair et précis;
c'est celle qui a commencé au seizième siècle
et poursuit maintenant son cours.
Tel m'apparaît, Messieurs, dans son ensemble, le spectacle de
la civilisation européenne; tel j'essaierai de vous le reproduire.
C'est dans la seconde période que nous entrons aujourd'hui.
Nous avons à y chercher les grandes crises, les causes déterminantes
de la transformation sociale qui en a été le résultat.
Le premier grand événement qui se présente à
nous, qui ouvre pour ainsi dire l'époque dont [11] nous
parlons, ce sont les croisades. Elles commencent à la fin du
onzième siècle, et remplissent le douzième et
le treizième. Grand événement à coup sûr,
car depuis qu'il est consommé, il n'a cessé d'occuper
les historiens philosophes; tous, même avant de s'en rendre
compte, ont pressenti qu'il y avait là une de ces influences
qui changent la condition des peuples, et qu'il faut absolument étudier
pour comprendre le cours général des faits.
Le premier caractère des croisades, c'est leur universalité;
l'Europe entière y a concouru; elles ont été
le premier événement européen. Avant les croisades,
on n' avait jamais vu l'Europe s'émouvoir d'un même sentiment,
agir dans une même cause; il n'y avait pas d'Europe. Les croisades
ont révélé l'Europe chrétienne. Les Français
faisaient le fond de la première armée de croisés;
mais il y avait aussi des Allemands, des Italiens, des Espagnols,
des Anglais. Suivez la seconde, la troisième croisade; tous
les peuples chrétiens s'y engagent. Rien de pareil ne s'était
encore vu.
Ce n'est pas tout: de même que les croisades sont un événement
européen, de même dans chaque pays elles sont un événement
national: dans chaque pays, toutes les classes de la [12] société
s'animent de la même impression, obéissent à la
même idée, s'abandonnent au même élan. Rois,
seigneurs, prêtres, bourgeois, peuple des campagnes, tous prennent
aux croisades le même intérêt, la même part.
L'unité morale des nations éclate, fait aussi nouveau
que l'unité européenne.
Quand de pareils événemens se rencontrent dans la jeunesse
des peuples, dans ces temps où ils agissent spontanément,
librement, sans préméditation, sans intention politique,
sans combinaison de gouvernement, on y reconnaît ce que l'histoire
appelle des événemens héroïques, l'âge
héroïque des nations. Les croisades sont en effet l'événement
héroïque de l'Europe moderne mouvement individuel et général
à la fois, national et pourtant non dirigé.
Que tel soit vraiment leur caractère primitif, tous les documens
le disent, tous les faits le prouvent. Quels sont les premiers croisés
qui se mettent en mouvement? Des bandes populaires; elles partent
sous la conduite de Pierre L'ermite, sans préparatifs, sans
guides, sans chefs, suivies plutôt que conduites par quelques
chevaliers obscurs; elles traversent l'Allemagne, l'empire grec, et
vont se disperser ou périr dans l'Asie mineure.
[13] La classe supérieure, la noblesse féodale
s'ébranle à son tour pour la croisade. Sous le commandement
de Godefroi De Bouillon, les seigneurs et leurs hommes partent pleins
d'ardeur. Lorsqu'ils ont traversé l'Asie mineure, il prend
aux chefs des croisés un accès de tiédeur et
de fatigue; ils ne se soucient pas de continuer leur route; ils voudraient
s'occuper d'eux-mêmes, faire des conquêtes, s'y s'établir.
Le peuple de l'armée se soulève; il veut aller à
Jérusalem, la délivrance de Jérusalem est le
but de la croisade; ce n'est pas pour gagner des principautés
à Raimond De Toulouse, ni à Boémond, ni à
aucun autre que les croisés sont venus. L'impulsion populaire,
nationale, européenne, l'emporte sur toutes les intentions
individuelles; les chefs n'ont point sur les masses assez d'ascendant
pour les soumettre à leurs intérêts. Les souverains,
qui étaient restés étrangers à la première
croisade, sont enfin emportés dans le mouvement comme les peuples.
Les grandes croisades du 12e siècle sont commandées
par des rois.
Je passe tout-à-coup à la fin du 13e siècle.
On parle encore en Europe des croisades, on les prêche même
avec ardeur. Les papes excitent les souverains et les peuples; on
tient des [14] conciles pour recommander la Terre Sainte; mais
personne n'y va plus, personne ne s'en soucie plus. Il s'est passé
dans l'esprit européen, dans la société européenne,
quelque chose qui a mis fin aux croisades. Il y a bien encore quelques
expéditions particulières; on voit bien quelques seigneurs,
quelques bandes partir encore pour Jérusalem; mais le mouvement
général est évidemment arrêté. Cependant
il semble que ni la nécessité ni la facilité
de le continuer n'ont disparu. Les musulmans triomphent de plus en
plus en Asie. Le royaume chrétien fondé à Jérusalem
est tombé entre leurs mains. Il faut le reconquérir;
on a pour y réussir bien plus de moyens qu'on n'en avait au
moment où les croisades ont commencé; un grand nombre
de chrétiens sont établis et encore puissans dans l'Asie
mineure, la Syrie, la Palestine. On connaît mieux les moyens
de voyage et d'action. Cependant rien ne peut ranimer les croisades.
Il est clair que les deux grandes forces de la société,
les souverains d'une part, les peuples de l'autre, n'en veulent plus.
On a beaucoup dit que c'était lassitude, que l'Europe était
fatiguée de se ruer ainsi sur l'Asie. Messieurs, il faut s'entendre
sur ce mot lassitude [15] dont on se sert souvent en
pareille occasion; il est étrangement inexact. Il n'est pas
vrai que les générations humaines soient lasses de ce
qu'elles n'ont pas fait, lasses des fatigues de leurs pères.
La lassitude est personnelle, elle ne se transmet pas comme un héritage.
Les hommes du treizième siècle n'étaient point
fatigués des croisades du douzièm; une autre cause agissait
sur eux. Un grand changement s'était opéré dans
les idées, dans les sentimens, dans les situations sociales.
On n'avait plus les mêmes besoins, les mêmes désirs.
On ne croyait plus, on ne voulait plus les mêmes choses. C'est
par de telles métamorphoses politiques ou morales, et non par
la fatigue que s'explique la conduite différente des générations
successives. La prétendue lassitude qu'on leur attribue est
une métaphore sans vérité.
Deux grandes causes, Messieurs, l'une morale, l'autre sociale, avaient
lancé l'Europe dans les croisades.
La cause morale, vous le savez, c'était l'impulsion des sentimens
et des croyances religieuses. Depuis la fin du septième siècle,
le christianisme luttait contre le mahométisme; il l'avait
vaincu en Europe après en avoir été dangereusement
menacé; il était parvenu à le [16] confiner
en Espagne. Là encore, il travaillait constamment à
l'expulser. On a présenté les croisades comme une espèce
d'accident, comme un événement imprévu, inouï,
né des récits que faisaient les pèlerins au retour
de Jérusalem, et des prédications de Pierre L'ermite.
Il n'en est rien. Les croisades, Messieurs, ont été
la continuation, le zénith de la grande lutte engagée
depuis quatre siècles entre le christianisme et le mahométisme.
Le théâtre de cette lutte avait été jusque-là
en Europe; il fut transporté en Asie. Si je mettais quelque
prix à ces comparaisons, à ces parallélismes
dans lesquels on se plaît quelquefois à faire entrer,
de gré ou de force, les faits historiques, je pourrais vous
montrer le christianisme fournissant exactement en Asie la même
carrière, subissant la même destinée que le mahométisme
en Europe. Le mahométisme s'est établi en Espagne, il
y a conquis et fondé un royaume et des principautés.
Les chrétiens ont fait cela en Asie. Ils s'y sont trouvés,
à l'égard des mahométans, dans la même
situation que ceux-ci en Espagne à l'égard des chrétiens.
Le royaume de Jérusalem et le royaume de Grenade se correspondent.
Peu importent, du reste, ces similitudes. Le grand fait, c'est la
lutte des deux systèmes religieux et sociaux. Les [17]
croisades en ont été la principale crise. C'est là
leur caractère historique, le lien qui les rattache à
l'ensemble des faits.
Une autre cause, l'état social de l'Europe au onzième
siècle, ne contribua pas moins à les faire éclater.
J'ai pris soin de bien expliquer pourquoi, du cinquième au
onzième siècle, rien de général n'avait
pu s'établir en Europe; j'ai cherché à montrer
comment tout était devenu local, comment les États,
les existences, les esprits s'étaient renfermés dans
un horizon fort étroit. Ainsi le régime féodal
avait prévalu. Au bout de quelque temps, un horizon si borné
ne suffit plus; la pensée et l'activité humaine aspirèrent
à dépasser la sphère où elles étaient
renfermées. La vie errante avait cessé, mais non le
goût de son mouvement, de ses aventures. Les peuples se précipitèrent
dans les croisades comme dans une nouvelle existence plus large, plus
variée, qui tantôt rappelait l'ancienne liberté
de la barbarie, tantôt ouvrait les perspectives d'un vaste avenir.
Telles furent, je crois, aux douzième siècle les deux
causes déterminantes des croisades. A la fin du treizième
siècle, ni l'une ni l'autre de ces causes n'existait plus.
L'homme et la société [18] étaient tellement
changés, que ni l'impulsion morale, ni le besoin social qui
avaient précipité l'Europe sur l'Asie, ne se faisaient
plus sentir. Je ne sais si beaucoup d'entre vous ont lu les historiens
originaux des croisades, et s'il vous est quelquefois venu à
l'esprit de comparer les chroniqueurs contemporains des premières
croisades, avec ceux de la fin du douzième et du treizième
siècle; par exemple, Albert d'Aix, Robert le Moine et Raymond
d'Agiles, qui assistaient à la première croisade, avec
Guillaume de Tyr et Jacques de Vitry. Quand on rapproche ces deux
classes d'écrivains, il est impossible de n'être pas
frappé de la distance qui les sépare. Les premiers sont
des chroniqueurs animés, d'une imagination émue, et
qui racontent les événemens de la croisade avec passion.
Mais ce sont des esprits prodigieusement étroits, sans aucune
idée hors de la petite sphère dans laquelle ils ont
vécu, étrangers à toute science, remplis de préjugés,
incapables de porter un jugement quelconque sur ce qui se passe autour
d'eux et sur les événemens qu'ils racontent. Ouvrez
au contraire l'histoire des croisades de Guillaume de Tyr; vous serez
étonnés de trouver presque un historien des temps modernes,
un esprit développé, étendu, libre, une rare
[19] intelligence politique des événemens, des vues
d'ensemble, un jugement porté sur les causes et sur les effets.
Jacques de Vitry offre l'exemple d'un autre genre de développement;
c'est un savant qui ne s'enquiert pas seulement de ce qui se rapporte
aux croisades, mais s'occupe de l'état des moeurs, de géographie,
d'ethnographie, d'histoire naturelle, qui observe et décrit
le monde. En un mot, il y a entre les chroniqueurs des premières
croisades et les historiens des dernières, un intervalle immense
et qui révèle dans l'état des esprits une révolution
véritable.
Cette révolution éclate surtout dans la manière
dont les uns et les autres parlent des Mahométans. Pour les
premiers chroniqueurs, et par conséquent pour les premiers
croisés dont les premiers chroniqueurs ne sont que l'expression,
les Mahométans ne sont qu'un objet de haine; il est clair que
ceux qui en parlent ne les connaissent point, ne les jugent point,
ne les considèrent que sous le point de vue de l'hostilité
religieuse qui existe entre eux; on ne découvre la trace d'aucune
relation sociale; ils les détestent et les combattent, rien
de plus. Guillaume de Tyr, Jacques de Vitry, Bernard le [20]
trésorier, parlent des Musulmans tout autrement; on sent que,
tout en les combattant, ils ne les voient plus comme des monstres,
qu'ils sont entrés jusqu'à un certain point dans leurs
idées, qu'ils ont vécu avec eux, qu'il s'est établi
entre eux des relations et même une sorte de sympathie. Guillaume
de Tyr fait un bel éloge de Noureddin et Bernard le trésorier
de Saladin. Ils vont même quelquefois jusqu'à opposer
les moeurs et la conduite des Musulmans aux moeurs et à la
conduite des chrétiens; ils adoptent les Musulmans pour faire
la satire des chrétiens, comme Tacite peignait les moeurs des
Germains en contraste avec les moeurs de Rome. Vous voyez quel changement
immense a dû s'opérer entre les deux époques,
puisque vous trouvez dans la dernière, sur les ennemis mêmes
des chrétiens, sur ceux contre lesquels les croisades étaient
dirigées, une liberté, une impartialité d'esprit
qui eût saisi les premiers croisés de surprise et de
colère.
C'est là, Messieurs, le premier, le principal effet des croisades,
un grand pas vers l'affranchissement de l'esprit, un grand progrès
vers des idées plus étendues, plus libres. Commencées
au nom et sous l'influence des croyances religieuses, les croisades
ont enlevé aux idées [21] religieuses, je ne
dirai pas leur part légitime d'influence, mais la possession
exclusive et despotique de l'esprit humain. Ce résultat, bien
imprévu sans doute, est né de plusieurs causes. La première,
c'est évidemment la nouveauté, l'étendue, la
variété du spectacle qui s'est offert aux yeux des croisés.
Il leur est arrivé ce qui arrive aux voyageurs. C'est un lieu
commun que de dire que l'esprit des voyageurs s'affranchit, que l'habitude
d'observer des peuples divers, des moeurs, des opinions différentes,
étend les idées, dégage le jugement des anciens
préjugés. Le même fait s'est accompli chez ces
peuples voyageurs qu'on a appelés les croisés; leur
esprit s'est ouvert et élevé par cela seul qu'ils ont
vu une multitude de choses différentes, qu'ils ont connu d'autres
moeurs que les leurs. Ils se sont trouvés d'ailleurs en relation
avec deux civilisations, non seulement différentes, mais plus
avancées; la société grecque d'une part, la société
musulmane de l'autre. Nul doute que la société grecque,
quoique sa civilisation fût énervée, pervertie,
mourante, ne fît sur les croisés l'effet d'une société
plus avancée, plus polie, plus éclairée que la
leur. La société musulmane leur fut un spectacle de
même nature. Il est [22] curieux de voir dans les chroniques
l'impression que produisirent les croisés sur les Musulmans;
ceux-ci les regardèrent au premier abord comme des barbares,
comme les hommes les plus grossiers, les plus féroces, les
plus stupides qu'ils eussent jamais vus. Les croisés, de leur
côté, furent frappés de ce qu'il y avait de richesses,
d'élégance de moeurs chez les Musulmans. A cette première
impression succédèrent bientôt entre les deux
peuples de fréquentes relations. Elles s'étendirent
et devinrent beaucoup plus importantes qu'on ne le croit communément.
Non seulement les chrétiens d'Orient avaient avec les Musulmans
des rapports habituels, mais l'Occident et l'Orient se connurent,
se visitèrent, se mêlèrent. Il n'y a pas long-temps
qu'un des savans qui honorent la France aux yeux de l'Europe, M. Abel
Rémusat, a mis à découvert les relations des
empereurs mongols avec les rois chrétiens. Des ambassadeurs
mongols furent envoyés aux rois francs, à saint Louis,
entre autres, pour les engager à entrer en alliance, et à
recommencer des croisades dans l'intérêt commun des Mongols
et des chrétiens contre les Turcs. Et non seulement des relations
diplomatiques, officielles, s'établissaient ainsi entre
[23] les souverains, mais elles tenaient à des relations
de peuples fréquentes et variées. Je cite textuellement
M. Abel Rémusat[1]:
«Beaucoup de religieux italiens, français, flamands, furent
chargés de missions diplomatiques auprès du grand khan.
Des Mongols de distinction vinrent à Rome, à Barcelone,
à Valence, à Lyon, à Paris, à Londres,
à Northampton, et un franciscain du royaume de Naples fut archevêque
de Péking. Son successeur fut un professeur de théologie
de la faculté de Paris. Mais combien d'autres personnages moins
connus furent entraînés à la suite de ceux-là,
ou comme esclaves, ou attirés par l'appât du gain, ou
guidés par la curiosité dans les contrées jusqu'alors
inconnues! Le hasard a conservé les noms de quelques uns: le
premier envoyé qui vint trouver le roi de Hongrie de la part
des Tartares, était un Anglais banni de son pays pour certains
crimes, et qui, après avoir erré dans toute l'Asie,
avait fini par prendre du service chez les Mongols. Un cordelier flamand
rencontra dans le fond de la Tartarie une femme de Metz, nommée
Paquette, qui avait été enlevée en Hongrie;
un orfèvre parisien, dont le frère était établi
à Paris sur le grand pont; et un jeune homme des environs de
Rouen, qui s'était trouvé à la prise de Belgrade.
Il y vit aussi des Russes, des Hongrois et des Flamands. Un chantre,
nommé Robert, après avoir parcouru l'Asie Orientale,
revint mourir dans la cathédrale de Chartres [24] Un
Tartare était fournisseur de casques dans les armées
de Philippe-le-Bel. Jean de Plancarpin trouva près de Gayouk
un gentilhomme russe qu'il nomme Temer, qui servait d'interprète;
plusieurs marchands de Breslav, de Pologne, d'Austriche, l'accompagnèrent
dans son voyage en Tartarie. D'autres revinrent avec lui par la Russie;
c'étaient des Génois, des Pisans, des Vénitiens.
Deux marchands de Venise que le hasard avait conduits à Bokhara
se laissèrent aller à suivre un ambassadeur mongol qu'Houlagou
envoyait à Khoubilaï. Ils séjournèrent plusieurs
années tant en Chine qu'en Tartarie, revinrent avec des lettres
du grand khan pour le pape, retournèrent auprès du grand
khan, emmenant avec eux le fils de l'un d'eux, le célèbre
Marc-Pol, et quittèrent encore une fois la cour de Khoubilaï
pour s'en revenir à Venise. Des voyages de ce genre ne furent
pas moins fréquens dans le siècle suivant. De ce nombre
sont ceux de Jean de Mandeville, médecin anglais; d'Oderic
de Frioul, de Pegoletti, de Guillaume de Bouldeselle et de plusieurs
autres. On peut bien croire que ceux dont la mémoire s'est
conservées ne sont que la moindre partie de ceux qui furent
entrepris, et qu'il y eut dans ce temps plus de gens en état
d'exécuter des courses lointaines que d'en écrire la
relation. Beaucoup de ces aventuriers durent se fixer et mourir
dans les contrées qu'ils étaient allés visiter.
D'autres revinrent dans leur patrie, aussi obscurs qu'auparavant,
mais l'imagination remplie de ce qu'ils, avaient vu, le racontant
à leur famille, l'exagérant sans doute, mais laissant
autour d'eux, au milieu de fables ridicules, des souvenirs utiles
et des traditions capables de fructilier. Ainsi furent déposées
en Allemagne, en Italie, en France, dans les monastères, chez
[25] les seigneurs et jusque dans les derniers rangs de la
société, des semences précieuses destinées
à germer un peu plus tard. Tous ces voyageurs ignorés,
portant les arts de leur patrie dans les contrées lointaines,
en rapportaient d'autres conaissances non moins précieuses,
et faisaient, sans s'en apercevoir, des échanges plus avantageux
que tous ceux du commerce. Par là, non seulement le trafic
des soieries, des porcelaines, des denrées de l'Indoustan,
s'étendait et devenait plus praticable; il s'ouvrait de nouvelles
routes à l'industrie et à l'activité commerciale:
mais, ce qui valait mieux encore, des moeurs étrangères,
des nations inconnues, des productions extraordinaires venaient s'offrir
en foule à l'esprit des Européens, resserré,
depuis la chute de l'empire romain, dans un cercle trop étroit.
On Commença à compter pour quelque chose la plus belle,
la plus peuplée et la plus anciennement civilisée des
quatre parties du monde. On songea à étudier les arts,
les croyances, les idiomes des peuples qui l'habitaient, et il fut
même question d'établir une chaire de langue tartare
dans l'université de Paris. Des relations romanesques, bientôt
discutées et approfondies, répandirent de toutes parts
des notions plus justes et plus variées. Le monde semble s'ouvrir
du côté de l'orient; la géographie fit un pas
immense: l'ardeur pour les découvertes devint la forme nouvelle
que revêtit l'esprit aventureux des Européens. L'idée
d'un autre hémisphère cesse, quand le nôtre fut
mieux connu, de se présenter à l'esprit comme un paradoxe
dépourvu de toute vraisemblance; et ce fut en allant à
la recherche du Zipangri de Marc.Pol, que Christophe Colomb découvrit
le Nouveau-Monde.»
Vous voyez, messieurs, quel était, au treizième et au
quatorzième siècle, par les faits [26] qu'avait
amenés l'impulsion des croisades, quel était, dis-je,
le monde vaste et nouveau qui s'était ouvert devant l'esprit
européen. On ne peut douter que ce n'ait été
là une des causes les plus puissantes du développement
et de la liberté d'esprit qui éclatent au sortir de
ce grand événement.
Une autre circonstance mérite d'être remarquée.
Jusqu'aux croisades, la cour de Rome, le centre de l'église,
n'avait guère été en communication avec les laïques
que par l'intermédiaire des ecclésiastiques, soit des
légats que la cour de Rome envoyait, soit des évêques
et du clergé tout entier. Il y avait bien toujours quelques
laïques en relation directe avec Rome. Mais, à tout prendre,
c'était par les ecclésiastiques qu'elle communiquait
avec les peuples. Pendant les croisades, au contraire, Rome devint
un lieu de passage pour une grande partie des croisés, soit
en allant, soit en revenant. Une foule de laïques assistèrent
au spectacle de sa politique et de ses moeurs, démêlèrent
la part de l'intérêt personnel dans les débats
religieux. Nul doute que cette connaissance nouvelle n'ait inspiré
à beaucoup d'esprits une hardiesse jusques là inconnue.
Quand on considère l'état des esprits en général
au sortir des croisades, et surtout en [27] matière
ecclésiastique, il est impossible de ne pas être frappé
d'un fait singulier: les idées religieuses n'ont point changé;
elles n'ont pas été remplacées par des opinions
contraires ou seulement différentes. Cependant les esprits
sont infiniment plus libres; les croyances religieuses ne sont plus
l'unique sphère dans laquelle s'exerce l'esprit humain; sans
les abandonner, il commence à s'en séparer, à
se porter ailleurs. Ainsi, à la fin du treizième siècle,
la cause morale qui avait déterminé les croisades, qui
en avait été du moins le principe le plus énergique,
avait disparu; l'état moral de l'Europe était profondément
modifié.
L'état social avait subi un changement analogue. On a beaucoup
cherché quelle avait été, à cet égard,
l'influence des croisades; on a montré comment elles avaient
réduit un grand nombre de propriétaires de fiefs à
la nécessité de les vendre aux rois, ou bien de vendre
des chartes aux communes pour faire de l'argent et aller à
la croisade. On a fait voir que, par leur seule absence, beaucoup
de seigneurs avaient perdu une grande portion de pouvoir. Sans entrer
dans les détails de cet examen, on peut, je crois, résumer
en quelques faits généraux l'influence des croisades
sur l'état social.
[28] Elles ont beaucoup diminué le nombre des petits
fiefs, des petits domaines, des petits propriétaires de fiefs;
elles ont concentré la propriété et le pouvoir
dans un moindre nombre de mains. C'est à partir des croisades
qu'on voit se former et s'accroître les grands fiefs, les grandes
existences féodales.
J'ai souvent regretté qu'il n'y eût pas une carte de
la France divisée en fiefs, comme nous avons une carte de la
France divisée en départemens, arrondissemens, cantons
et en communes, où tous les fiefs fussent marqués, ainsi
que leur circonscription, leurs rapports et leurs changemens successifs.
Si nous comparions, à l'aide de cartes pareilles, l'état
de la France avant et après les croisades, nous verrions combien
de fiefs avaient disparu, et à quel point s'étaient
accrus les grands fiefs et les fiefs moyens. C'est un des plus importans
résultats que les croisades aient amenés.
Là même où les petits propriétaires ont
conservé leurs fiefs, ils n'y ont plus vécu aussi isolés
qu'auparavant. Les possesseurs de grands fiefs sont devenus autant
de centres autour desquels les petits se sont groupés, auprès
desquels ils sont venus vivre. Il avait bien fallu pendant la croisade
se mettre à la suite du plus riche, [29] du plus puissant,
recevoir de lui des secours; on avait vécu avec lui, on avait
partagé sa fortune, couru les mêmes aventures. Les croisés
revenus chez eux, cette sociabilité, cette habitude de vivre
auprès de son supérieur, sont restées dans les
moeurs. De même qu'on voit les grands fiefs augmenter après
les croisades, de même on voit les propriétaires de ces
fiefs tenir une cour beaucoup plus considérable dans l'intérieur
de leurs châteaux, avoir auprès d'eux un plus grand nombre
de gentilshommes qui conservent leurs petits domaines, mais ne s'y
enferment plus.
L'extension des grands fiefs et la création d'un certain nombre
de centres de société, au lieu de la dispersion qui
existait auparavant, ce sont là les deux plus grands effets
des croisades dans le sein de la féodalité.
Quant aux bourgeois, un résultat de même nature est facile
à reconnaître. Les croisades ont créé les
grandes communes. Le petit commerce, la petite industrie, ne suffisaient
pas pour créer des communes telles qu'ont été
les grandes villes d'Italie et de Flandre. C'est le commerce en grand,
le commerce maritime, et particulièrement le commerce d'Orient
et d'Occident qui les a enfantées: or ce sont les croisades
qui ont donné au commerce maritime [30] la plus forte
impulsion qu'il eût encore reçue.
En tout, quand on regarde à l'état de la société
à la fin des croisades, on trouve que ce mouvement de dissolution,
de dispersion des existences et des influences, ce mouvement de localisation
universelle, s'il est permis de parler ainsi, qui avait précédé
cette époque, a cessé et a été remplacé
par un mouvement en sens contraire, par un mouvement de centralisation.
Tout tend à se rapprocher. Les petites existences s'absorbent
dans les grandes ou se groupent autour d'elles. C'est en ce sens que
marche la société, que se dirigent tous ses progrès.
Vous comprenez à présent, Messieurs, pourquoi, à
la fin du treizième et au quatorzième siècle,
les peuples et les souverains ne voulaient plus de croisades; ils
n'en avaient plus besoin ni envie; ils s'y étaient jetés
par l'impulsion de l'esprit religieux, par la domination exclusive
des idées religieuses sur l'existence tout entière;
cette domination avait perdu son énergie. Ils avaient aussi
cherché dans les croisades une vie nouvelle, plus large, plus
variée; ils commençaient à la trouver en Europe
même, dans les progrès des relations sociales. C'est
à cette époque que s'ouvre devant les rois la carrière
de l'agrandissement politique. Pourquoi aller [31] chercher
des royaumes en Asie, quand à sa porte on en avait à
conquérir? Philippe Auguste allait à la croisade à
contre-coeur; quoi de plus naturel? Il avait à se faire roi
de France. Il en fut de même pour les peuples. La carrière
de la richesse s'ouvrit devant eux; ils renoncèrent aux aventures
pour le travail. Les aventures furent remplacées pour les souverains,
par la politique, pour les peuples, par le travail en grand. Une seule
classe de la société continua à avoir du goût
pour les aventures; ce fut cette partie de la noblesse féodale
qui, n'étant pas en mesure de songer aux agrandissemens politiques,
et ne se souciant pas du travail, conserva son ancienne position,
ses anciennes moeurs. Aussi a-t-elle continué à se jeter
dans les croisades et tenté de les renouveler.
Tels sont, Messieurs, à mon avis, les grands, les véritables
effets des croisades: d'une part, l'étendue des idées,
l'affranchissement des esprits; de l'autre, l'agrandissement des existences,
une large sphère ouverte à toutes les activités:
elles ont produit à la fois plus de liberté individuelle
et plus d'unité politique. Elles ont poussé à
l'indépendance de l'homme et à la centralisation de
la société. On s'est beaucoup enquis des moyens de civilisation
qu'elles ont [32] directement importés d'Orient; on
a dit que la plupart des grandes découvertes qui, dans le cours
des quatorzième et quinzième siècles, ont provoqué
le développement de la civilisation européenne, la boussole,
l'imprimerie, la poudre à canon, étaient connues de
l'Orient, et que les croisés avaient pu les en rapporter. Cela
est vrai jusqu'à un certain point. Cependant quelques unes
de ces assertions sont contestables. Ce qui ne l'est pas, c'est cette
influence, cet effet général des croisades sur les esprits
d'une part, sur la société de l'autre; elles ont tiré
la société européenne d'une ornière très
étroite pour la jeter dans des voies nouvelles et infiniment
plus larges; elles ont commencé cette transformation des divers
élémens de la société européenne
en gouvernemens et en peuples, qui est le caractère de la civilisation
moderne. Vers le même temps se développait une des institutions
qui ont le plus puissamment contribué à ce grand résultat,
la royauté. Son histoire, depuis la naissance des états
modernes jusqu'au treizième siècle, sera l'objet de
notre prochaine leçon.