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par Leana Quilici et Renzo Ragghianti

Lettres curieuses sur la Renaissance Orientale des frères Humboldt, d'August Schlegel et d'autres...

Christian Friedrich Windischmann

Note editoriali

Index | Avertissement | Bopp | Burnouf | Friedrich Creuzer | A. von Humboldt | W. von Humboldt
Mohl | Pauthier | Rosen | de Sacy | Schlegel | Windischmann | Appendice

1

Monsieur,

Vous me pardonnerez, si après avoir eu connaissance de vos bontés, je prends la liberté, quoique je ne vous suis pas connu personnellement, de vous incommoder par la présente. La lecture de vos écrits et de vos traductions du Chinois m'a occupé depuis nombre d'années, je vous ai accompagné partout, vos ouvrages beaux et profonds m'ayant été d'un attrait irrésistible. C'est avec beaucoup de joie que je découvris que, non seulement vous connaissiez les langues à fond, mais que vous êtes aussi philosophe et médecin et avez acquis la connaissance des hommes et que d'après cela nous nous rapprochons en beaucoup des choses, tant du côté de la médecine que de celui de la philosophie et pouvons nous mieux comprendre que ceux dont les études ont peu de commun. Les connaissances, que vous avez de la nature, donnent une vie particulière à vos études des langues et de l'histoire et c'est en cela, qu'elles se distinguent, bien à votre avantage, des ouvrages <…> de beaucoup d'autres. Ne serait on pas presque porté à dire: on peut pourtant tout faire d'un médecin.

Ces relations mentales, que j'ai avec vous, m'occupant et me réjouissant déjà depuis plusieurs années, me pressent maintenant que la communication extérieure est à la fin nécessaire pour faire connaître des sentiments respectueux à celui pour qui on les a, de Vous écrire d'autant plutôt, qu'il s'en offre une invitation plus proche par l'exécution d'un ouvrage qui m'occupe depuis plus de 20 ans, savoir un écrit intitulé la Philosophie dans le cours de l'histoire universelle. Le premier des 3 volumes, dans lesquels cet ouvrage est divisé, contient l'exposition des fondemens de la philosophie dans l'Orient, nommément: la Chine, l'Inde et la Perse(1). Mon point de vue est celui de la critique philosophique (conceptio et disputatio rerum, uti sunt, secundum ideam philosophicam), ainsi du dénouement et du sentiment des manières de penser et des doctrines de leur propre principe; de sorte que ce n'est pas par moi ou par un système préoccupant, comme celui d'Idéologie ou du Kantisme etc., mais par elles-mêmes, qu'elles se prononcent et se jugent. Ceci continué par tous les âges jusqu'à l'état actuel des choses dans la philosophie est alors en même temps une introduction historique universelle (introductio seiundum progressum historiæ universalis) à l'étude même de la philosophie, parce que la suite du développement historique de cette science, bien considérée, n'est autre chose que le procès de la science même dans son exécution complète. Mon travail est donc un essai suivi de l'histoire du monde; pour s'orienter dans la philosophie même; c'est pourquoi l'histoire de la philosophie et la philosophie de l'histoire s'y donneront la main.

Il faut cependant que je convienne, qu'excepté les langues classiques, je dois nommément pour les orientales me servir des traductions et des ouvrages fidèles; j'ai pourtant eu quelquefois le plaisir et la consolation de pouvoir rectifier des difficultés d'après les notions philosophiques, par exemple dans les traductions de Colebrooke, qui ressentent souvent le Lokeanisme. J'ai aussi rencontré p.e. que ce que j'avais reconnu et décidé de cette manière à l'égard de la doctrine chinoise ne pouvoir être autrement, je le trouvais ensuite dans des passages que vous avez traduits avec tant de précision, pleinement confirmé et verbalement. Mais aussi les remarques, que vous a fait M. de Humboldt sur le sens grammatical des particules: Tchoûng-yoûng, qu'il sait nécessaire de les exprimer par «constans aut constare in medio» — je les avais faites auparavant d'après le Charactère de la philosophie chinoise, quoique je n'aurais jamais moi seul l'audace de varier quelque chose en cela.

Ainsi, d'après les dits points de vue, j'ai travaillé avec une peine infinie, à l'aide de tous les moyens qui étaient à ma disposition, à la doctrine chinoise, d'une manière, qui comme je le souhaite, vous plaira savoir en dérivant tout du principe de puissance et de la sagesse paternelle absolue et en réduisant tout à ce principe, qui constitue, pour ainsi dire, toute l'existence des Chinois et j'ai essayé de représenter toute la doctrine dans l'Idée d'un état de famille. Je crois n'avoir rien omis d'essentiel de ce que j'avais à commandement. Ce qui me réjouit le plus, c'est de m'être principalement servi de ce de nos missionnaires, que vous distinguez tant, soit comme des hommes pénétrans, soit comme des hommes très vénérables et je suis convaincu par plusieurs confrontations que les textes traités avec la plus grande rigueur nous donnent beaucoup plus des raisons d'estimer l'ancienne doctrine chinoise comme un grand système de la tradition originaire, que ces hommes modestes se permettaient quelquefois de dire, lorsqu'ils avaient affaire avec l'Europe devenue incrédule.

Vous rendrez un grand service à la science entre nous allemands et vous me fairiez un grand plaisir si vous vouliez avoir la bonté d'appuyer mon travail de vos conseils; je vous prierais surtout de me donner des renseignemens à l'égard d'un de vos sentimens dans les notes de Tchoûng-yoûng. Vous parlez (Notices et extr. des manuscrits de la Bibl. du Roi X. 292.) de l'intention que vous avez de travailler un jour plus en détail à la métaphysique subtile et profonde des Chinois. Je vous supplierais donc de vouloir me donner des ouvertures sur ce que vous aviez en pensée en écrivant cela; ainsi que quelques passages vraiment abstraits et spéculatifs du Ze-King et du Tao-te-King, pour les insérer comme des épreuves de l'esprit profond de l'Antiquité.

C'est sans doute indiscret de ma part de vous prier de me répondre aussitôt que possible; mais mon ouvrage étant déjà sous presse je désirerais pouvoir au moins dans une addition faire usage de vos bontés.

La lettre ci-incluse est de Mr. Ampère(2). J'ai le priai, lui qui a été mon auditeur assidu, avec qui j'ai tant philosopher et qui m'a tant réjoui par ses talens, d'avoir la complaisance de joindre quelques mots à son ancien et cher maître; de même que mon estimable ami A. G. de Schlegel, qui vous a déjà écrit à cause de moi.

Dans les semaines prochaines un jeune théologue, nommé Vüllers, qui est désigné d'enseigner les langues orientales à un de nos Collèges catholiques, vous présentera une lettre de recommandation de M. de Schlegel; je vous le recommande aussi; parce qu'il est un jeune homme de talent et de la meilleure conduite. Dans quelques années j'aurai le plaisir de vous envoyer un de mes fils, qui se félicitera d'apprendre le Chinois sous vos auspices. J'espère que son ardeur pour l'étude bien fondée des langues orientales et principalement pour les langues hébraïque et chinoise vous sera agréable. Je ne puis vous exprimer avec quelle confidence je le mettrai dans vos leçons.

Agréez, Monsieur, l'assurance de mon profond respect.
Windischmann
Prof. en Philosophie et Médecine à l'Univ. Rhénane

Bonne [sic] ce 19 Avril 1827

 

2

Monsieur

votre réponse, pleine de bontés, que je reçu malheureusement un peu tard, m'a causé d'autant plus de joie, qu'elle m'offre la perspective d'entrer dans une liaison plus intime avec un homme dont je reconnais et estime la profonde érudition. Vos observations sur les écoles principales des Chinois m'ont beaucoup tranquilisé, étant venu par mes recherches sur les mêmes charactères que vous leur donnez, et j'avais, nommément à l'égard de Confucius, mis par écrit, le même jour que Votre agréable lettre arriva, quelque chose tout semblable à ce que Vous avez la bonté de me communiquer. En vérité, ce grand esprit n'a pas trouvé un Platon, mais il l'aurait bien mérité; car il y a encore une grande profondeur en lui, mais aussi de ménagement pour n'offrir à son siècle que ce qu'il peut supporter et comme il l'a donné de cette manière, il est p.e. charactérisé dans le Lun-yu, à peu près comme Socrate dans les Memorabilia de Xenophon.

Ce qui m'a agréablement surpris, c'est Votre remarque sur l'accord essentiel de la sagesse la plus reculée des Chinois avec les fondements du Buddhaisme. Cette vérité s'était déjà présentée plusieurs fois à mon esprit; mais les renvois me manquaient. Je Vous prie donc instamment de vouloir bien me donner des éclaircissements plus particuliers sur ce point capital et de me dire quels sont les motifs qui Vous ont porté à cette décision.

J'ai, sur la lettre que Mr. de Humboldt Vous écrivit, tenté quelques remarques dans mon ouvrage lesquelles je soumettrai, à temps, à Votre jugement en espérance sur Votre bonté. J'ai parcourru à cette fin votre Grammaire et vos Mélanges et le Tchoûng-yoûng(3) avec attention et je crois aussi m'être convaincu à l'occasion, que l'on peut prendre: Tchoûng-yoûng dans une double signification une fois: constans in medio et puis: medium constans s. æternum. Les deux significations me semblent répondre aux élémens objectifs et subjectifs de l'idée complète.

Le temps et le départ d'un jeune homme, qui désire de se charger de cette lettre, ne me permettent pas d'écrire d'avantage. Cet aimable et brave jeune homme, nommé Puider, saxon de nation, est un philologue expérimenté, qui va à Paris pour y entreprendre un grand travail à l'avancement duquel vos bontés contribueront certainement beaucoup et pourront conduire son oeil du champ de la littérature grecque aussi sur celle de l'Orient.

Veuillez agréer, Monsieur, l'assurance de respect, avec lequel je suis

Votre très humble et très obéissant serviteur
Ch. J. Windischmann

Bonne [sic] le 14 Jul. 1827

 

3

Monsieur,

J'espère que Mr. le Professeur Cousin, dont la connaissance m'a fait infiniment de plaisir, aura eu déjà la bonté de Vous remettre un exemplaire de la première section de mon ouvrage sur la Philosophie dans le progrès de l'histoire universelle.

Je Vous prie de la recevoir et censurer avec indulgence. Je n'ai d'autre norme que la critique philosophique pour des disquisitions de ce genre. Et si l'on trouve des vues heureuses sur l'antiquité chinoise c'est à vos écrits savans principalement que je les dois. Si se trouvent dans quelques endroits des opinions hardies, je l'ai fait pour que ceux qui se sont adonnés à la langue chinoise et premièrement Vous, mon très cher et très honoré ami, prennent d'occasion de les corriger, par quoi la vérité ne peut que gagner. Vous m'obligerez beaucoup, Monsieur, si Vous voulez bien avoir la bonté d'annoncer mon ouvrage dans le Journal des Savans.

Monsieur, je suis avec le plus profond respect

Votre très humble serviteur
Ch. J. Windischmann

Bonn le 29 Oct. 1827

(1) Médecin et professeur de philosophie à Aschaffenburg et à Bonn (1775-1839). Catholique, en rapport de collaboration avec Görres, Windischmann rechercha une synthèse entre christianisme et idéalisme, se liant d'abord à Schelling, puis à Hegel; cf. à ce propos la lettre qu'il lui adressa le 27 avril 1810. En effet son oeuvre majeure, Die Philosophie im Fortgang der Weltgeschichte, est marquée de l'empreinte hégélienne. Le tome Ier contenait les bases de la philosophie en Orient. Ire partie; in-8°, Bonn 1827.

(2) Jean-Jacques Ampère (1800-1864), historien et critique littéraire, professeur de littérature au Collège de France.

(3) L'Invariable Milieu, par Tseu-ssé, en chinois et en mandchou, avec une version latine littérale, une traduction française et des notes, Paris, Imprimerie royale 1817. Sur la publication de la Lettre à M. Abel-Rémusat sur la nature des formes grammaticales en général et sur le génie de la langue chinoise en particulier Alexander écrivait de Paris à son frère le 24 janvier 1827, Brife Alexander's von Humboldt an seinen Bruder Wilhelm, op. cit., p. 144: «J'ai été occupé ici dès les premiers jours à presser le fer de l'impression de ton ouvrage, négligé de la manière la plus coupable par le libraire, Dondey Dupré, chez lesquels paraissent tous les ouvrages de littérature asiatique. Rémusat comme tu le verras par les lettres incluses y a mis la plus grande obligeance. Ces notes donneront une grande valeur additionnelle à ce petit ouvrage plein de philosophie et d'aperçus ingénieux».