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par Leana Quilici et Renzo Ragghianti

Lettres curieuses sur la Renaissance Orientale des frères Humboldt, d'August Schlegel et d'autres...

Avertissement

Note editoriali

Index | Avertissement | Bopp | Burnouf | Friedrich Creuzer | A. von Humboldt | W. von Humboldt
Mohl | Pauthier | Rosen | de Sacy | Schlegel | Windischmann | Appendice

Les lettres publiées á la suite sont conservées aux Archives communales de Mantes-la-Jolie dans le fonds Clerc de Landresse, exécuteur testamentaire d'Abel-Rémusat (1788-1832), et elles sont adressées dans leur grande majorité à l'illustre sinologue. La collection d'autographes a été léguée vers 1869 à la ville de Mantes par Mlle Ernestine Clerc de Landresse dont le père, Ernest Augustin Xavier Clerc de Landresse (1800-1862), orientaliste, ancien élève de l'École des Chartes, avait été bibliothécaire à l'Institut de France et membre du conseil de la Société Asiatique. Il révisa avec Klaproth (1783-1835) la traduction du Foe Koue Ki de Chy Fa Hian, proposée par Abel Rémusat. Il traduisit du portugais les Éléments de la grammaire japonaise du P. Rodriguez, d'après le manuscrit de la bibliothèque du roi, et soigneusement collationnés avec la grammaire publiée par le même auteur, à Nagasaki, en 1604 (1). Avant de se livrer aux études orientales, il avait prit part à la rédaction de journaux politiques et, au moment de la révolution de 1830, il fut gérant du journal l'Universel.

Un travail sur la présence de l'Orient dans la culture française au début du XIXème siècle était projet lorsque nous avons appris la parution récente du livre Lettres édifiantes et curieuses sur la langue chinoise. Humbolt/Abel-Rémusat (1821-1831), par Jean Rousseau et Denis Thouard, dans lequel figure la correspondance inédite de Wilhelm von Humboldt. Après mûre réflexion, nous avons décidé de présenter ce matériel qui en constitue une suite naturelle. Nous avons opéré dans le fonds un choix privilégiant la publication intégrale des correspondances qui nous ont paru les plus significatives tant pour l'intérêt des questions débattues que pour la renommée de l'interlocuteur. Quoiqu'il en soit, toutes concernent la 'découverte orientale'. En appendice on été relégués d'autres correspondants étrangers à ce débat.

Au XIXe siècle l'indianisme fut une discipline assez répandue: déjà en 1801, Anquetil-Duperron publiait l'Oupnek'hat, id est secretum tegendum(2), le premier volume de la traduction latine des Upanishad, et exhortait à se débarrasser de cette tournure d'esprit qui prétend rechercher en toute chose «un ordre absolument constant selon nos idées données»(3). Quarante ans plus tard, Burnouf imprime l'Introduction à l'histoire du bouddhisme indien. La nomination au Collège de France de Chézy à la première chaire de sanskrit en Europe remonte à 1812, et la première Société Asiatique à 1822. Cousin lui-même se prodigua pour une plus large circulation de la traduction des Essays on the philosophy of the Hindus de Colebrooke, parus entre 1824 et 1829 dans les deux premiers volumes des Transactions de la société asiatique de Londres. La traduction de Pauthier, chez Didot en 1833, précédait de quatre ans l'édition anglaise en volume (4). Cousin mettra les Essais sur la philosophie des Hindous au nombre des prix distribués dans les écoles du royaume. Pareille essor connurent les études de sinologie sous l'impulsion d'Abel Rémusat, premier occupant de la chaire de langue et littérature chinoise du Collège de France (1814). Fondateur avec Klaproth, Saint-Martin et Sylvestre de Sacy de la Société Asiatique, il a laissé entre autre les Recherches sur les langues tartares (1820) et les Éléments de grammaire chinoise (1822). La 'renaissance orientale' fut une conviction répandue dans le Paris de la monarchie de juillet, et qui se perpétuera bien avant dans le siècle.

Dès la dernière décennie du XVIIIe siècle et encore dans les vingt premières années du suivant, à peu près entre Herder et Schelling, le mythe de l'unité primordiale, image du sanskrit comme langue parfaite où sentiment et imagination sont encore confondus, se base uniquement sur des carmes mystiques, parce que les premières traductions méconnaissent les textes dogmatiques, les sutra des écoles brahmaniques. Ce n'est qu'en 1784 que William Jones créait à Calcutta la Royal Asiatic Society of Bengala: c'est à lui, à Charles Wilkins et à la publication peu après des Asiatick Researches que l'on fait remonter les débuts de la philologie sanskrite. Jones, dans son discours prononcé le 2 février 1786 à l'occasion du troisième anniversaire de la Société Asiatique de Calcutta, remarqua que le sanskrit avait «une structure admirable; plus parfaite que le grec, plus abondante que le latin, plus raffinée que l'une et l'autre»: dans les racines verbales et dans les formes grammaticales était reconnaissable une affinité avec ces deux autres langues bien supérieure à celle que l'on peut attendre du hasard. En réalité, devant de telles affinités un philologue examinant les trois idiomes devra nécessairement se convaincre qu'ils dérivent de «quelque souche commune, qui ne subsiste peut-être plus»(5). Burnouf, à l'invitation d'Abel Rémusat et conjointement avec Christian Lassen, avait publié d'abord un Essai sur le pâli, auquel il avait été introduit, comme il l'écrit à Bopp en novembre 1825, par une découverte fortuite en mettant «un ordre au moins extérieur dans les manuscrits sanscrits» de la bibliothèque royale, «travail purement mécanique»(6). Suivra ensuite le court enseignement de grammaire comparée, «une théorie philosophique du langage», à l'École Normale, le commentaire sur le Yaçna en 1833, enfin la traduction du Zend-Avesta qui remplaçait celle du XVIIIe siècle d'Anquetil-Duperron, très incertaine et «fort altérée». Ces études lui valurent l'approbation de Schelling qui en parle « avec de grands éloges», et Lassen lui signale la Préface à la traduction des Fragments de Cousin: «Vous vous y trouverez mentionné d'une façon très honorable» (7). Il faut relire la lettre que Schelling lui adressait, dix ans après, en le remerciant du premier volume du Bhâgavata Purâna: «je suis de nouveau pénétré d'admiration pour l'étendue et la profondeur de votre esprit et de vos recherches, et combien vos discussions ont servi à m'éclairer et, en même temps, à me confirmer dans quelques idées que je m'étais formées en conséquence de vues générales, par exemple sur l'âge des Purânas. Je regarde surtout comme un résultat du plus haut intérêt ce que vous dites sur la doctrine de la foi et de la dévotion que vous jugez de beaucoup postérieure à la doctrine védique des oeuvres. Il est donc vrai que l'Inde aussi avait, ou bien a encore, son Vieux et son Nouveau Testament»(8).

Mais c'est surtout l'Introduction à l'histoire du Buddhisme, publiée par Burnouf auprès de l'Imprimerie Royale en 1844 avec l'introduction de la chronologie, élément tout à fait étranger à la culture indienne, que Humboldt salue comme une découverte comparable à celle «de quelques nouveaux agents dans le monde physique»(9).

En l'espace de quelques années, s'opère «un 'tournant bouddhique' dans l'imagerie philosophique occidentale»(10), et l'intérêt philosophique à l'égard de l'Inde diminue. L'avènement tardif du «tournant bouddhique» peut s'expliquer par le fait que pendant cinquante ans l'indianisme naissant n'était pas entré en contact avec les traités bouddhistes, la constitution de la 'bouddhologie' remonte à la période 1840-1855. Même les travaux d'Isaac Jacob Schmidt ou de Julius von Klaproth se basent sur de tardifs textes mongols comme se basent sur des oeuvres chinoises postérieures au corpus indien les textes recueillis dans les Mélanges asiatiques (11) par Jean-Pierre Abel Rémusat, avec lequel Cousin entretint un commerce assidu. Même l'Introduction de Burnouf, qui en 1832 succéda à Chézy au Collège de France, est plus au moins centrée sur des textes du Grand Véhicule, ses études sur le Petit Véhicule étant en effet postérieures. Certes ce changement d'attitude a été déterminé par la superposition de la dispute idéologique au débat proprement philosophique, avec le rapprochement du matérialisme et du panthéisme.

Les manuscrits ont été rigoureusement respectés, mais les abréviations ont été complétées tandis que quelques rares ratures ont été omises. Les notes, réduites au minimum, ont pour seul but de faciliter la lecture des manuscrits. Les interventions des éditeurs sont signalées entre crochets, un mot manquant est signalé par <...>. Les mots placés à l'intérieur de ces signes <> n'ont pas été déchiffrés avec certitude. Les matériaux, sauf lorsque l'indication de la source est explicite, sont à considérer inédits. Même si l'on est en présence d'une recherche commune, les lettres d'August Schlegel ont été éditées par Leana Quilici, les autres par Renzo Ragghianti.

Nous tenons à remercier nos amis Luca D'Ascia, Rolando Minuti, Kai Neubauer et Andrea Orsucci dont les conseils nous ont été très utiles. Nos remerciements vont aussi à Axel Landfried car sans sa patiente compétence la transcription des lettres allemandes aurait été impossible. Nicole Maroger s'est acquittée de la tâche ingrate d'une lecture du manuscrit la plume à la main.

Note

(1) Cf. à ce propos la lettre que W. von Humboldt écrivait à Rémusat le 21 octobre 1825: «J'ai lû e relû avec grand intérêt la Grammaire Japonoise de Mr. Landresse» (lettre nº 1907 de l'inventaire des Archives de Mantes, voir aussi Lettres édifiantes et curieuses sur la langue chinoise, op. cit., p. 231).

(2) Strasbourg, Levrault, 1 vol. de 870 pp., in-4. Il s'agit de la version persane des cinquante Upanishad dont le prince mongol Dara Shekoh avait commandé la rédaction en 1656. L'ouvrage, retraduit en allemand par Th. A. Rixner en 1808, enregistra l'adhésion idéale de Schopenhauer. Schweighauser faisait allusion au premier volume de la traduction latine des Upanishad: «Il me paraît d'abord assez piquant de rencontrer sur la route du principe de l'unification, c.à.d. de la plus haute métaphysique, un Grand Mogol, qui a cherché à nous en défricher une partie, que cependant nous ne connaissons encore que fort incomplètement. C'est ce dont vous serez convaincu en lisant la prefatio interpretis persici de l'Oupnek'hat traduit par du Perron; avec la particularité que ce prince infortuné a d'abord cherché cette unification dans Moïse, le Psaumes et l'Évangile, et que c'est pour n'avoir été guère plus satisfait de ces livres que du Coran, qu'il a eu recours à la philosophie Indienne et particulièrement à ces morceaux théologiques des Védas, sur lesquels il faut comparer avec la version barbare d'Anquetil la Notice plus claire de M. Colebrooke, dans le VIIIe volume des Recherches Asiatiques. En effet, autant que j'ai pu, tant par cette comparaison que par d'autres lectures, me faire une idée un peu nette de la philosophie religieuse des auteurs sacrés de l'Inde, les plus anciens d'entre eux surtout, se sont principalement occupés de cette unification de toutes les différentes idées de la divinité dans une seule idée universelle, dont le monde visible n'est qu'une sorte de reflet varié. [...] Il était aussi, selon la Symbolique de M. Creuzer, le fond le plus intime de la mysticité ancienne des Grecs, pour l'explication de laquelle il s'est à la vérité un peu trop fié aux néoplatoniciens. Il va sans dire que les Philosophes mystiques de toutes les nations ont suivi cette route; non par la méthode seule de l'analyse et du raisonnement; mais par le vol de l'enthousiasme, qui sent, ou voit, ou rêve et prononce avec audace; en laissant à ceux qui en ont le loisir et le goût, le soin de marquer les stations ou de rectifier les erreurs» (lettre du 6.11.1817, in Manuscrits Victor Cousin, conservés à la Sorbonne à la Bibliothèque Victor Cousin, nº 248, dorénavant les renvois sont indiqués par le simple sigle f.V.C. suivi du numéro du manuscrit).

(3) Lettre de M. Anquetil-Duperron, Sur les antiquités de l'Inde in Recherches historiques et géographiques sur l'Inde, par M. Jean Bernouilli, Berlin, De l'imprimerie de Pierre Bourdeau, t. II, p. xviij. C. AMPOLO (Storie greche, Torino, Einaudi 1997, pp. 74-87 passim) parle d'un manque d'intérêt vers l'antiquité gréco-romaine, pendant la Restauration. On se tourna plutôt vers l'Égypte et l'Asie, et c'est seulement après 1830, avec Michelet, avec la création en 46 de l'École française d'Athènes et sous l'impulsion de Duruy, que se produit un «changement idéologique» en l'espace de vingt ans, à partir de 65. La Cité antique «rentrait dans les discussions du XIXe siècle sur l'état et l'origine de la propriété [...] C'était une vision systématique, conservatrice, fortement simplificatrice et aphilologique [...] mais d'une énorme force intellectuelle, susceptible de contenir un schéma interprétatif de toute l'histoire gréco-romaine».

(4) L'épigraphe à la traduction des Essais de Colebrooke est extraite de la cinquième édition du Cours d'histoire de la philosophie de 1829, et dès la Préface Pauthier rappelle «l'amitié de M. Th. Jouffroy», auquel il doit «plusieurs observations sur le Mémoire concernant la philosophie Sánkhya» (H.-T. COLEBROOKE, Essais sur la philosophie des Hindous, traduits de l'anglais et augmentés de textes sanskrits et de nombreuses notes par G. Pauthier, Paris, Didot/Hachette/Heideloff et Campé 1833, p. VI). Antoine-Léonard de Chézy (1773-1823), orientaliste.

(5) Cit. in L'Orient au miroir de la philosophie, textes choisis et présentés par M. Crépon, Paris, Pocket 1993, p. 237; voir sur ce point M. OLENDER, Les langues du Paradis. Aryens et Sémites: un couple providentiel, Paris, Seuil 1989, cf. aussi L. POLIAKOV, Le mythe arien, Paris, Calmann-Lévy 1971. Pauthier également, dans sa Préface d'avril 1833 aux Essais de Colebrooke, faisait allusion à la «langue sanskrite si savante et si métaphysique», à un «monde presque tout nouveau pour nous», et il retrouvait dans l'Inde l'«anneau le plus reculé [...] de cette grande chaîne» de l'humanité (H.-T. COLEBROOKE, op. cit., p. III). Et il donnait comme exemple: «le mot sanskrit atman, ou atma au nominatif, signifie tout à la fois le prénom soi-même, qui exprime la conscience de son individualité, et l'âme qui est cette conscience personnifiée, qui seule la possède. Plus on étudie cette langue merveilleuse, plus on est surpris du sens profond, philosophique, qui a présidé à sa composition et à son développement. C'est de ce mot sanskrit que vient notre mot âme» (ibid., pp. 224 s.). La Symbolik aussi renvoie à Colebrooke. A propos des sources indiennes, Creuzer décrit les Essais comme «le meilleur traité que l'on ait sur ces livres vénérables», parce qu'il fait autorité «quant à la langue dans laquelle ils sont écrits, à leur authenticité, à leur haute et incontestable antiquité» (F. CREUZER, Religions de l'antiquité, considérées principalement dans leurs formes symboliques et mythologiques, refondu en partie, complété et développé par J. D. Guigniaut, Paris, Treuttel et Würtz Libraires 1825, t. I, pp. 570 sq.).

(6) Lettre à F. Bopp, du 14.11.1825, in Choix de lettres d'Eugène Burnouf 1825-1852, Paris, Champion 1894, pp. 5 sq.: «Nous avons trouvé des manuscrits, qui d'après leur titre, paraissaient être en langue palie, idiome du bouddhisme dans la presqu'île au-delà du Gange. Nous avons aussitôt conçu le projet de les déchiffrer, et ce travail, fait en commun, a produit une dissertation ou Essai sur le pali, accompagné de planches contenant trois alphabets inédits et de fac-similés de trois sortes de manuscrits. J'ai personnellement rédigé la partie des alphabets et ce qu'il y a d'historique sur le pali, le bouddhisme, etc. M. Lassen [...] a rédigé une partie de la comparaison du pali avec le sanscrit, et exclusivement la comparaison du pali et du prakrit». Cf. à ce propos la Notice sur les travaux de M. Eugène Burnouf de Barthélémy Saint-Hilaire à la seconde édition de l'Introduction à l'histoire du Buddhisme indien, Paris, Maisonneuve 1876, pp. IX sq. Saint-Hilaire soutient qu'on eut connaissance de cette langue par la relation de Laloubère sur le Royaume de Siam en 1687, mais seulement un siècle plus tard, le père Paulin de Saint-Barthélémy, puis Buchanan et enfin Leyden, démontrèrent «les rapports incontestables du pâli avec le sanscrit, le prakrit et le zend». Mais c'est l'Essai su le pâli qui démontrera que cette langue «n'était qu'un dérivé du sanscrit». C'est seulement après que l'essai de 1826 se révélera être «un grand fait philologique», «quand les annales du bouddhisme attirèrent son attention», que Burnouf put alors «confronter la rédaction sanscrite des Soûtras bouddhiques du Népal, au nord de l'Inde, avec la rédaction pâlie qui en avait été faite au sud». H. DE LUBAC, La rencontre du Bouddhisme et de l'Occident, Paris, Aubier 1952, p. 142 sq., impute les limites de l'ouvrage de Burnouf, «de tout premier ordre», à sa «mentalité positive [...] il n'évite pas quelques lourdes erreurs d'interprétation. La plus importante est celle qui concerne le nirvana, dans lequel il ne voit que le néant. Le symbolisme du Lotus lui demeure également fermé [...] Par ses défauts comme par ses mérites, [...] il exerça sur la plupart de ses successeurs une influence profonde». Linguiste allemand (1791-1867), Bopp vint étudier le sanskrit à Paris (1812), notamment avec Chézy, professeur à Berlin (1821), sa grande oeuvre est la Grammaire comparée du sanskrit, du zend, du latin, du lithuanien, du vieux slave, du gothique et de l'allemand parue en six partie de 1833 à 1852.

(7) Lettres de Schlegel du 9.11.1834 et de Lassen du 26.11.1834, in Lettres d'Eugène Burnouf, op.cit., pp. 595 sq. et 510.

(8) Lettre de Schelling du 25.6.1841, in Lettres d'Eugène Burnouf, op.cit., pp. 538 sq.

(9) «Le bouddhisme est un de ces grands éléments du monde moral et intellectuel qui renferment la clef des plus importants problèmes. Quand je pense qu'il n'y a pas trente ans qu'on a découvert ce qu'il y a de puissant dans cet instrument [...]. Et l'on croyait pouvoir raisonner météorologie avant de connaître l'électricité, et pouvoir raisonner l'Asie et les origines des philosophies et religions grecques avant de connaître le Bouddhisme» (lettre de Alexander von Humboldt du 24.8.1843, in Lettres d'Eugène Burnouf, op.cit., p. 540. Beaucoup plus tard vers les années 1880, dans les Nouveaux travaux sur le bouddhisme, Renan soutiendra que l'étude de cette doctrine «semble avoir été particulièrement dévolue à la science française. Nous en eûmes les prémices par Abel Rémusat, Eugène Burnouf, Stanislas Julien» (E. RENAN, Études d'histoire religieuse suivi de Nouvelles études d'histoire religieuse, Paris, Gallimard/coll. Tel 1992, p. 402). Au bas d'une traduction du Tao-Te-King de Lao-tseu, Pauthier notait que «cette doctrine d'une seule substance sous divers modes était aussi celle de Spinoza», et à propos du dogme indien «de l'ascétisme, de la contemplation, de la mortification des sens», il disait qu'«il a été prêché par Platon, par Plotin surtout, et par tous les philosophes gnostiques». De même, «le TAO de LAO-TSEU a aussi beaucoup d'analogie avec le Demiurghigós lógos de Pythagore et des Stoïciens; mais la Doctrine avec laquelle celle de Lao-tseu me paraît avoir le plus d'analogie (dans sa conception bien entendu et non dans ses développements) est celle de SCHELLING» (H.-T. COLEBROOKE, op. cit., pp. 2 sq. et 19).

(10) R.-P. DROIT, L'oubli de l'Inde. Une amnésie philosophique, Paris, P.U.F. 1989, p. 158. H. DE LUBAC, op. cit., p. 130, écrit que conformément à l'«oeuvre de Creuzer, Guignault, tout en faisant assez bon marché de l'existence historique du Bouddha lui-même, cherche à montrer dans la doctrine bouddhique une forme du monothéisme universel». H. DE LUBAC, op. cit., pp. 156 sq., soutient que «Cousin parut hésiter encore», conformément à des thèses alors dépassées. Mais, «dès 1847, il donne un vigoureux coup de barre, moins au nom du christianisme [...] qu'au nom de sa propre doctrine. [...] il fait état principalement de l'idée du nirvana, telle que Burnouf venait de l'exposer». A la différence du brahmanisme, le bouddhisme réduit le moi à une création momentanée et fortuite due à la coopération mutuelle des cinq éléments physiques et moraux qui composent l'homme. Cette non-substantialité du moi traduit un profond pessimisme. A propos du 'vide', de la réalité indéfinissable sur le plan conceptuel, Pauthier observait que probablement il fallait «entendre par ce mot, non la négation de tous modes d'êtres, mais la négation de tout attribut corporel, c'est-à-dire l'incorporéité, l'immatérialité. Cette opinion avait déjà été émise par de grands esprits: Deguignes père et Abel Rémusat» (H. DE LUBAC, op. cit., p. 260).

(11) Paris 1825-1826, 2 vol. Hegel «accède à une information un peu plus sérieuse sur le taoïsme» (M. HULIN, op. cit., p. 88) grâce à Abel Rémusat, qu'il connaît à l'occasion de son séjour à Paris en 1827.