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par Leana Quilici et Renzo Ragghianti

Lettres curieuses sur la Renaissance Orientale des frères Humboldt, d'August Schlegel et d'autres...

Friedrich Rosen

Note editoriali

Index | Avertissement | Bopp | Burnouf | Friedrich Creuzer | A. von Humboldt | W. von Humboldt
Mohl | Pauthier | Rosen | de Sacy | Schlegel | Windischmann | Appendice


Monsieur,

En vous écrivant il me faut commencer par des excuses. Il y a déjà plusieurs semaines que je vous promis les notices sur les études Asiatiques en Angleterre que vous trouverez dans cette lettre. Il est vrai que mes occupations on été comblées plus que d'ordinaire ce dernier tems; mais je sens bien que cela ne suffit pas à m'excuser d'un si long délai. Je ne peux donc que me fier sur votre bonté, qui ne me traitera pas si rigoureusement que je l'ai desservi.

En parlant de la cultivation de la littérature Orientale en Angleterre, je dois avant tout faire mention de la mort de M. Nicoll, professeur d'Hébreu à l'université d'Oxford(1). Je ne dis pas trop, Monsieur, si je vous assure, que les études Asiatiques ont perdu beaucoup par la mort de ce savant distingué. J'eus quelquefois l'avantage de sa conversation pendant un court séjour à Oxford au mois d'Août dernier, et je ne pouvai pas m'empêcher d'admirer sa connaissance étendue de la littérature Arabe, et les vastes trésors de notions qu'il avait recueillis des manuscrits de la bibliothèque Bodleienne. Vous connaissez déjà la première partie de son supplément au catalogue de ces manuscrits publiés par lui; la deuxième partie de cet ouvrage était sur le point de paraître lorsque la mort enleva M. Nicoll. On en doit attendre l'achèvement du zèle de son savant successeur M. Pusey(2).

La Société qui s'est formée depuis peu sous le nom d'Oriental Translation Committee, vient d'imprimer les voyages d'Ibn Batula traduits en Anglais par M. Lee, Professeur d'Arabe à Cambridge(3). - M. Lee s'occupe à présent à traduire le grand ouvrage d'Ibn Khaldoun sur l'histoire des Berbères, dont la Société vient d'acquérir un manuscrit. M. Dorn, orientaliste allemand qui a vécu à Londres les deux dernières années et qui est désigné professeur de littérature Orientale à l'université de Kharkow en Russie, publiera sous les auspices de la Société une Histoire des Afghans, traduite du Persan et accompagnée de notes et d'extraits des plusieurs écrivains orientaux(4). Cet ouvrage est déjà sous presse. - En même tems M. Rénouard va publier une édition complète de l'ouvrage géographique d'Edrisi. - M. Joseph de Hammer a remis à la Société une traduction Anglaise des Voyages d'Evlia Efferedi traduits du Turc: cet ouvrage doit paraître ici en ce moment. - On imprime aussi une édition Persane du Bostan de Sadi, accompagnée d'une traduction Anglaise par M. Ross(5). - Tous ces ouvrages sont ou sous presse ou préparés pour la publication. Vous trouverez une liste de quelques autres, que l'on doit attendre, à la fin de la dernière partie des "Transactions of the Royal Asiatic Society". - J'ose avouer que si les travaux de l'Oriental Translation Committee seront toujours dirigés avec autant de soins critiques que de zèle et de munificence, l'établissement de cette société ne peut manquer de produire des avantages importans pour la littérature Orientale.

M. le colonel Briggs vient d'achever sa traduction anglaise du grand ouvrage de Férishta sur l'histoire de l'Inde sous les Mahométans(6). Un long séjour dans le pays fournissait à cet officier distingué le grand avantage de visiter lui-même la plupart des contrées dont Térishta fait mention; et des recherches faites sur les lieux mêmes lui donnaient la matière à des notes et éclaircissements précieux dont il a accompagné sa traduction.

M. le colonel Tod va publier un grand ouvrage sur l'histoire et les antiquités du Radjasthan(7). Le premier volume est sous presse. Cet ouvrage sera accompagné de cartes et de gravures. - La munificence de M. Tod avait déjà fait présent à la Société Royale Asiatique d'une collection vraiment unique de manuscrits Sanscrits. Il vient de renouveler les justes prétentions que le présent lui donnait à la reconnaissance de la Société, par la promesse généreuse qu'après sa mort la société sera héritière de toute sa bibliothèque. M. Tod pendant sa carrière diplomatique dans l'Inde avait occasion de faire une collection très curieuse de monnaies anciennes. Rien de plus important, selon moi, que de voir publié par des gravures un trésor si inestimable! L'article intéressant de M. de Schlegel (dans le Journal Asiatique du mois de novembre dernier) montre d'une manière trop convaincante quel avantage les savans sauraient tirer d'une telle publication(8).

M. Mirza Hrazim, Persan de nation et professeur des langues Arabe et Persane au Collège de Haileybury, s'occupe de traduire l'histoire d'Hérodote en Persan. Il a déjà achevé la traduction des deux premiers livres. Il a eu la bonté de m'en lire une partie, que je trouvais excellente. - Pendant que nous autres traduisons et dépouillons les ouvrages des écrivains Orientaux c'est bien réjouissant, ce me semble, qu'un Persan, animé d'un intérêt semblable, se dédommage en rendant à ses compatriotes un chef d'oeuvre de la littérature européenne.
L'édition in 4to du dictionnaire Persan de Richardson étant vendue, une nouvelle édition va paraître, soignée et considérablement augmentée par M. Johson, Professeurs de Sanscrit au collège de Haileybury(9).

L'histoire générale et l'analyse comparative des langues commence à fixer de plus en plus l'attention des savans Anglais. Vous connaissez déjà sans doute l'ouvrage de M. Vans Kennedy(10); ainsi que la lettre excellente sur les mieux moyens de découvrir l'affinité des langues, en laquelle m. le Bon de Humboldt a laissé un si bon souvenir de son séjour ici à la Société Asiatique.

Parmi les ouvrages qui se rapportent à la géographie et ethnographie de l'Asie, je ne citerai que les voyages de feu M. Heber, Évêque de Calcutta, l'Histoire de la guerre contre les Birmans, publiée par M. Wilson à Calcutta, et le tour à la Mecque et à Medine, tirée des journaux du feu M. Burkhardt(11).

Je me flatte, Monsieur, que vous serez un peu surpris de ce que je dis rien des travaux avec lesquels je suis engagé moi-même. En effet ce n'est pas sans quelque confusion que je parais devant vous. Je sens bien que je n'ai pas encore fait cet usage de mon séjour à Londres, près du Musée Britannique et de l'India House, que mes amis avaient un droit d'attendre. Je tâcherai à l'avenir de justifier mieux l'opinion favorable qu'ils ont conçu de mon zèle. Pendant cet hiver, hors d'un cours d'Arabe et de Sanscrit, une grande partie de mon tems était dévouée à l'étude de l'Hindoustani, qu'on me requiert d'enseigner aux élèves de notre Université. Cet idiome misérable est tout à fait dépourvu d'intérêt littéraire. Mais en le comparant avec le Sanscrit, le Pali et quelques-unes des langues modernes de l'Inde, j'ai tâché de me rendre compte de son organisation et de sa structure, ou plutôt de l'état singulier de destruction et de désorganisation où il se trouve. Peut-être trouverai-je une occasion de publier les résultats que cette analyse m'a fournis.
Je me suis engagé à la Translation Committee de traduire les biographies d'Ibn Khallican, et de les publier accompagnées du texte Arabe(12). C'était pour consulter les manuscrits Bodleiens de cet ouvrage que je me rendis à Oxford l'été dernier. D'autres occupations ne m'ont pas permis d'avancer si vite avec ma traduction que je le désirais; j'espère cependant qu'une partie de ma traduction paraîtra devant la fin de cette année.

En parlant de la Translation Committee, je dois remarquer que M. Lee a dédié son Ibn Batuta à M. le Colonel Fitz Clarence. C'était un hommage dû à cet illustre promoteur des études Asiatiques, qu'on doit regarder comme fondateur de cette société.

M. Poley à Berlin, élève de M. Bopp, va donner une édition du Devi-Mahâtmgam, épisode de Markandeya Purana(13).

Lorsque j'étais à Oxford, j'ai aussi copié un manuscrit Arabe, qui peut-être aura quelqu'intérêt pour les mathématiciens. C'est un compendium d'Algèbre, ouvrage de Mohammed ben Mousa el Khowarezmi(14), composé sous le règne et à l'ordre du caliphe el Mamun. Selon plusieurs autorités ce doit être le premier ouvrage d'Algèbre que les Arabes ont possédé. M. Colebrooke en a donné une courte notion dans son "Indian Algebra". Ce qui est curieux c'est qu'une des formules que Mohammed ben Mousa donne pour trouver la périphérie du cercle, prescrit de multiplier le diamètre par 62832/20000, fraction qui se réduit à 3927/1250, qui est la proportion donnée dans l'ouvrage Indien Lilavati (page 87 de la traduction de M. Colebrooke). Il me semble qu'un exemple tel que celui-ci prouve d'une manière bien convaincante que les Arabes ont reçu de l'Inde une grande partie de leurs connaissances mathématiques. J'ai traduit cet ouvrage, dont la valeur scientifique n'est pas grande, mais qu'on peut regarder comme une petite curiosité pour l'histoire de la mathématique; j'espère que je trouverai une occasion de le publier.

Mais je crains, Monsieur, que je vous ai déjà incommodé trop long tems avec mes notices. Je serais heureux si vous y trouveriez quelque chose d'intéressant. Il ne me reste que de me recommander à la considération de votre bienveillance.

Agréez, Monsieur, l'assurance de la considération distinguée, avec laquelle j'ai l'honneur d'être,

Monsieur, Votre très humble et très obéissant serviteur

Fr. Rosen

29 Thornhaugh Str.
Londres ce 7 Avril 1829

[en marge] M. Poley à Berlin, élève de M. Bopp, va donner une édition du Devi-Mahatmyan, épisode du Markandeya Parana.

(1) Alexander Nicoll (1793-1828), orientaliste.

(2) Édouard Bouverie, dit Pusey (1800-1882), théologien anglais. Il prit une part active au mouvement ritualiste d'Oxford en 1833.

(3) Le révérend Samuel Lee (1783-1852), orientaliste anglais; Travels of Ibn Batuta, translated from the abridged arabic, Mss. copies, preserved in the public library of Cambridge, with notes; Londres 1829 in-4°. Cette traduction est faite sur un extrait persan.

(4) Johann Albert Barnhard Dorn (1805-1881), orientaliste allemand, directeur du Musée Asiatique et membre de l'Académie des Sciences de Saint-Pétersbourg. History of the Afghans, translated from de persian of Neamet-Ullah, Londres 1829, 2 vol.

(5) James Ross (fl. 1796-1819), linguiste, traduisit Sa'Di (Moslih al Din) The Gulistan or flower garden, Londres 1823.

(6) John Briggs (1785-1875), général, spécialiste de langue persane, membre de la Royal Society. Il est fait référence à sa traduction de FERISHTA (Mohammed Qacim), History of the rise of the Mahomedan power in India, till the year A. D. 1612, London 1829.

(7) James Tod (1782-1835), colonel, diplomate.

(8) Il est fait référence aux Observations sur quelques médailles bactriennes et indo-scythiques nouvellement découvertes, par M. A.W. de Schlegel, in «Nouveau Journal Asiatique», novembre 1828, pp. 321-349. «M. le colonel Tod a su profiter des intervalles que lui laissaient une carrière active et des missions importantes dans l'Inde, pour y recueillir des trésors de littérature et d'antiquités asiatiques. Revenu en Europe, il en a fait l'usage le plus libéral pour l'avancement de ce genre d'érudition. Il a fait don à la Société Asiatique de Londres d'une collection de manuscrits dans le dialecte du Râdjpoutana, et d'un nombre considérable de manuscrits sanscrits. Sans que j'eusse l'avantage de lui être personnellement connu, il a eu l'extrême bonté de permettre à mon savant collaborateur, le docteur Lassen, de copier un précieux manuscrit du Râmâyana, provenant de la bibliothèque du roi d'Odeypour. [...] Le colonel Tod, ayant formé une riche collection de médailles trouvées dans l'Inde, a publié un choix des plus curieuses. La gravure se trouve à la fin de la IIe partie du Ier volume des Transactions de la Société asiatique de Londres» (art. cit., pp. 321-322).

(9) John Richardson (1741-1811), orientaliste, rédigea A Dictionary Persian, Arabic and English (1777-1780, 2 voll.).

(10) Vans Kennedy (m. 1825), lieutenant général, s'est intéressé à l'étude du sanskrit et du persan. On lui doit A Dictionary of the Marat,ha Language (1824), Researches into the origin and affinity of the principal languages of Asia and Europe (1828).

(11) Reginald Heber (1783-1826), pasteur anglican, évêque de Calcutta, hymnographe. Il est fait allusion à Narrative of a journey through the upper provinces of India, from Calcutta to Bombay, 1828, 2 voll. H. H. WILSON, Documents illustrative of the Burmese War, Calcutta, Huttmann 1827. Jean Charles Burkhardt (1784-1817), un des voyageurs de la Société africaine de Londres, visita la Syrie, l'Égypte et la Nubie, et fut le premier Européen à pénétrer, en 1814, dans les villes saintes de l'Arabie. Ses journaux de voyages ont été publiés à Londres de 1819 à 1830.

(12) Ibn Khallikân (Chems ed-Din Abou'l Abbas Ahmed), historien musulman (1211-1282). On lui doit un ouvrage historique des plus importants, le Wafayât el-Ayân (1256-1274), contenant plus de huit cents biographies des principaux personnages de l'islamisme, qui a été traduit sous le titre Vie des hommes illustres de l'islamisme (texte, 1838-1849), et Biographical Dictionary (traduction, Londres 1843-1871).

(13) LUDOVICUS POLEY, Devimahatmyan. Markandey Purani section, Berolini 1831. Ludwig Poley (fl. 1840), attaché à l'ambassade de Prusse à Constantinople.

(14) Mohammed Ibn Moussa Ibn Chakir, géomètre arabe du IXe siècle. Il fut élevé ainsi que ses deux frères par le calife Mamoun. Les trois frères firent en commun des travaux scientifiques; un de leurs ouvrages, Liber trium fratrum de geometria, connu en Occident depuis longtemps, consacra leur réputation.