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par Leana Quilici et Renzo Ragghianti

Lettres curieuses sur la Renaissance Orientale des frères Humboldt, d'August Schlegel et d'autres...

Appendice

Note editoriali

Index | Avertissement | Bopp | Burnouf | Friedrich Creuzer | A. von Humboldt | W. von Humboldt
Mohl | Pauthier | Rosen | de Sacy | Schlegel | Windischmann | Appendice

BENJAMIN CONSTANT

1

Oserais-je vous demander, Monsieur, si, à la bibliothèque de l'Institut se trouvent les ouvrages suivans.

Antonii Sadeelia Chandei Opera theologica, Genève 1592, ou 1599, ou 1615, in folio. (La première de ces éditions seroit préférable)(1).

Chandei Vita, par Lectius 1593 ou 1615.

Vous m'obligeriez infiniment de me le faire savoir. J'aurais un besoin urgent de consulter ces deux ouvrages, pour une Séance de la Chambre, qui aura lieu peut-être ce matin même.

Pardon de mon indiscrétion et veillez agréer l'assurance de ma très haute considération

Benjamin Constant

rue d'Anjou St. Honoré
n° 15, ce 11 Mars 1815
à Monsieur
Monsieur Feuillet bibliothécaire de l'Institut(2)
rue de Sorbonne n° 1

 

2

Je vous envoye, Monsieur, l'analyse de ce que je compte faire à l'Athénée. Mais auparavant, je dois entrer dans quelques explications sur la manière dont j'avais conçu la proposition de M. Perrier(3), parce que j'ai peur que mon intervention n'ait pas été présentée, comme je l'avais entendue, et que le programme ne m'engage à beaucoup plus que je ne pouvais faire.

M. Perrier et avant lui M. de Tracy, lorsqu'il m'en parla il y a deux ans, ne m'ont jamais proposé de faire un Cours formel, mais simplement de donner quelques séances que leur manière indulgente de me juger leur faisaient croire utiles ou agréables. La dernière fois même que M. Perrier voulut bien m'en entretenir, il ne fut question que d'une séance tous les quinze jours. Je ne croyais donc nullement me mettre au rang des Professeurs réguliers de l'Athénée, et j'aurais fait cette observation à l'assemblée générale, si M. de Tracy ne m'eut dit avant la réunion, qu'on avait rédigé la chose si vaguement, que je conservais toute liberté. Cependant j'ai vu que le retranchement de la phrase par laquelle j'avais annoncé seulement quelques séances changeait tout à fait et mes engagemens et le point de vue sous lequel je me présentais.

Dans l'état où est mon ouvrage, qui, après m'avoir occupé toute ma vie, est resté fort imparfait, par l'effet des autres objets qui m'ont absorbé depuis trois ans, il me serait impossible de commencer un véritable cours, sans me livrer à un travail que je n'ai point cet hiver la faculté d'entreprendre. De plus la nature de ces recherches exige tant de développemens que si je les prenais dans leur ordre et dans leur étendue, il me faudrait plusieurs années pour en exposer le résultat avec célérité ou succès.

Quand M. Perrier m'a communiqué les intentions flatteuses de l'Athénée, je n'ai eu d'autre idée que d'y répondre, en donnant quelques séances, où j'aurais traité les époques les plus frappantes de la marche de l'esprit humain dans les opinions religieuses. Et c'est encore là que je dois me borner. Je ne peux m'offrir nullement comme un Professeur en règle, mais uniquement comme un homme de lettres, membre lui-même de l'Athénée, et désirant remplir quelques heures des loisirs de ses collègues, dans cette association éclairée.

J'ajouterai que M. Perrier m'ayant parlé des émolumens du Professorat, je lui ai dit que je ne ferais nullement entrer cette considération en ligne de compte. Je serai charmé, si cela convient, de contribuer gratuitement à ce qui serait agréable à mes Collègues, pourvu que la nature des engagemens que je prends soit telle que je n'encoure pas le reproche d'y manquer.

Je désire donc par un sentiment fondé sur l'insuffisance des mes forces, ne point être désigné comme Professeur. Ce titre indiquerait des prétentions que je n'ai ni ne puis avoir: et je mets un grand prix à ce que l'exposé de mon projet de Séances soit inséré textuellement tel que je l'envoye. Agréez Monsieur l'assurance de ma très haute considération

Benjamin Constant

ce 26 8bre 1817

 

3

histoire(*)

Mr. Benjamin Constant s'est chargé de retracer, dans quelques Séances, les principales époques des anciennes religions, telles qu'il les a traitées dans un ouvrage encore inédit. Cet exposé de la marche graduelle et régulière des idées religieuses aura de l'intérêt, dans un moment où l'esprit humain paraît éprouver cette agitation et ces besoins moraux, qui, à la distance souvent de beaucoup de siècles, viennent tout à coup l'inquiéter, et sur ce qu'il a cru longtemps, et sur ce qu'il semble avoir cessé de croire. La première religion des hommes abandonnés à leurs propres lumières, la formation du pouvoir Sacerdotal, favorisé dans certaines contrées par des circonstances soit accidentelles, soit locales, et restreint ou repoussé par d'autres événemens a d'autres circonstances dans d'autres contrées, la Nature des Cultes de l'Orient et du Midi, soumis au Sacerdoce et façonné d'après ses calculs, les modifications successives de la Religion des Grecs, qui, après avoir emprunté de l'Égypte des rites, des traditions et des allégories en partie Indiennes, brisèrent le joug venu de l'étranger, et restituèrent, je ne dirai pas à la raison, mais au raisonnement son indépendance et à l'imagination ses droits, la combinaison, à Rome, des dogmes du Sacerdoce de l'Étrurie avec les fables de la Grèce, où la Prêtrise était presque sans pouvoir, l'influence de la religion dans ces deux pays, sur la littérature et de la littérature sur la religion, la lutte de la Philosophie contre le Polythéisme, et la victoire de cette philosophie, toute puissante, quand elle ne veut que détruire, les efforts inutiles de l'Autorité pour relever un culte déchu, les égaremens de l'esprit et les souffrances de l'âme, quand le besoin religieux eut perdu tout moyen de se satisfaire, l'apparition inévitable, mais inattendue, d'une doctrine plus pure, et la renaissance de l'espèce humaine, par l'adoption de cette doctrin*, tels sont les objets sur lesquels M. Benjamin de Constant essayera de fixer l'attention de l'Athénée**. Il ne peut se flatter de traiter toutes les questions, ni de les approfondir suffisamment, en un petit nombre de séances: mais il tachera d'éveiller la curiosité et peut-être la méditation sur cette matière importante et il ose dire peu connue. Il ne peut fixer encore ni le jour des séances, ni l'époque où commencera ce cours, si l'on peut donner le nom de Cours à une suite d'essais peu nombreux et nécessairement imparfaits

* [Biffé: bientôt dénaturé à son tour].

** [Biffé: Il espère ne blesser aucune conviction sincère, ne choquer l'opinion d'aucun homme de bonne foi].

 

4

En lisant le Journal du Commerce d'aujourd'hui, Monsieur, je m'aperçois qu'il y a eu dans la lettre que j'y ai fait insérer une omission qui me choque parce qu'elle ne dit pas quelle a été ma pensée en l'écrivant. Après ces mots, je n'ai aucun droit, aucune prétention au titre de professeurs à l'Athénée, j'avais ajouté: ce titre si honorable suppose et exige des connaissances que je n'ai pas, et il y aurait eu de la présomption en moi à le prendre. Je ne conçois pas cette omission, à moins qu'elle ne vienne de ce que les trois phrases étoient en succession. Comme il m'avoit été doux, de rendre cet hommage à ceux dont on m'avoit fait l'honneur de me croire digne d'être le Collègue, en même tems que le sentiment de mon insuffisance m'avoit fait craindre d'être accusé de présomption, si j'acceptais un titre auquel j'ai malheureusement trop peu de droit, et que la plaisanterie du Journal des Débats m'avoit déjà fait sentir, j'écris pour qu'on insère cette phrase dans une Errata: mais ma reconnaissance pour la bienveillance qu'on m'a témoignée ne me permet pas d'attendre jusqu'à demain pour vous l'écrire, en vous présentant les assurances de ma très haute considération

Benjamin Constant

Ce 9 Novembre 1817
à Monsieur Feuillet Secrétaire de l'Athénée

 

5

Monsieur,

Oserais-je vous prier de faire hommage à l'Institut d'un des volumes que j'ai l'honneur de joindre à cette lettre, et d'agréer le second? Vous avez eu la bonté de me prêter de la bibliothèque de l'Institut un Hésiode, que j'ai gardé bien longtems. Il vous sera remis avec ces deux volumes, et j'espère que vous me permettrez dans la suite de mon travail de recourir de nouveau à votre obligeance.

Agréez, Monsieur, l'expression de ma très haute considération

B. Constant

Paris ce 13 8bre 1825

 

6

Monsieur,

Autant que ma mémoire me le rappelle, je crois avoir adressé à l'Institut l'année dernière le premier volume de mon ouvrage sur la religion. Mais quoiqu'il en soit, je m'empresse de vous envoyer deux exemplaires de ce premier volume, que je vous prie d'accepter, l'un pour vous, Monsieur, l'autre pour l'Institut. Quant à la question que vous voulez bien m'adresser, sur celle des Académies à laquelle je destinais cet hommage, je comptais l'offrir à l'académie et à celle des Inscriptions réunies, ne réfléchissant pas à la séparation opérée par la nouvelle organisation. Maintenant je crains qu'il n'y ait trop de prétentions à l'offrir à chacune des deux, à moins que vous ne désiriez le contraire. Dans ce cas et si vous voulez bien me l'écrire par la petite poste, j'aurais l'honneur de vous faire tenir un second exemplaire pour l'Académie des Inscriptions; sinon, je vous prie de présenter celui-ci à l'Académie Française.

Je n'ai point renvoyé l'Hésiode. Je croyais au contraire vous avoir demandé Monsieur si je pouvais le garder encore, pendant que je travaille à mon troisième volume. Je suis bien reconnaissant de ce que vous voulez bien m'offrir relativement à la bibliothèque de l'Institut et je vous demande la permission d'aller vous y trouver un jour que vous y serez, tant pour vous renouveler mes remerciemens que pour avoir une idée des ressources quelle renferme et qu'on dit infinie

Agréez l'hommage de ma haute considération

B. Constant

Paris ce 24 8bre 1825

 

7

Monsieur, cher et ancien Collègue,

Je vous rends mille grâces de ce que vous avez bien voulu engager l'Athénée à fixer à lundi la Séance d'ouverture. Mon travail est fini, et j'employerai à le rendre plus digne de ceux qui veulent bien m'écouter les deux jours qui me restent.

Je voudrais bien ne pas abuser de votre obligeance, quant aux billets d'entrée que je vous ai demandés. Précédemment l'Athénée m'en a accordé jusqu'à quarante. Je me borne à 24, malgré les nombreuses demandes qui me sont adressées. J'espère que vous ne me trouverez pas trop indiscret. Veuillez pour comble de bonté me les faire tenir assez tôt pour que je puisse les distribuer, et agréez l'assurance de mon parfait attachement et de ma haute considération.

B. Constant

Ce 26 Novembre 1825
à Monsieur
Monsieur Ternaux aîné Place des Victoires n° 6

 

8

Monsieur

Je prends la liberté de m'adresser à vous pour m'informer si les Recherches Asiatiques de la Société Anglaise de Calcutta se trouvent à la Bibliothèque de l'Institut, et si vous auriez l'extrême bonté de me prêter les Tomes 12, 13, 14, et 15 de cet ouvrage. Lors de mes lectures à l'Athénée, vous voulûtes bien me promettre les services de cette bibliothèque. Trop d'occupations politiques m'ont empêché jusqu'ici de profiter de cette offre obligeante. J'y recours maintenant avec confiance. Dans le tems où je travaillais à mon Ier vol. Messrs. Bossange(4) m'ont procuré plusieurs ouvrages, entre autre un Hésiode in 4°, qui avec une Traduction en vers Latins, qu'ils m'ont dit avoir emprunté de la Bibliothèque de l'Institut, si ma mémoire ne me trompe pas. Dans le cas où elle seroit fidèle, et où vous auriez le soin de ce volume que j'ai peut-être gardé trop longtemps, j'aurais l'honneur de vous le renvoyer sans retard.

Agréez Monsieur l'hommage de ma reconnaissance et de ma haute considération

Paris ce 23 Mars 1827

Benjamin Constant

à Monsieur
Monsieur Feuillet Rue de Sorbonne n° 1

 

ERNEST RENAN

1

Mon cher ami,

Un membre de la famille où ma soeur a passé plusieurs années en Pologne vient de lui demander un billet pour la séance de jeudi. Mon rhume m'empêche d'aller voir Pingard: voudriez-vous lui demander pour moi un billet ou m'enseigner un meilleur moyen pour m'en procurer?

Je vais mieux; ne sachant pourtant si je pourrai passer demain à votre bibliothèque, voudriez-vous prendre pour moi le volume de Bunsen, Ægypte's Stelle, où il est question de Sanchoniaton: c'est l'avant-dernier des volumes parus(5).

Croyez à ma parfaite amitié

E. Renan

 

2

M. Landresse aurait-il la bonté de communiquer à M. de Courcy, qui lui remettra cette lettre, le manuscrit de la Bibliothèque dont il a besoin?

E. Renan

 

3

M. Renan se permet de présenter et de recommander vivement à M. Landresse M. de Ronchaud, qui désire travailler à la Bibliothèque de l'Institut(6). M. de Ronchaud voudrait voir la statuette de Minerve, récemment envoyée par M. Lenormant(7). Elle est placée dans le couloir qui est à l'extrémité de la salle de l'Académie française.

 

AUGUSTIN THIERRY

1

Monsieur

La bienveillance avec la quelle Vous m'avez accueilli dernièrement m'encourage à Vous faire une demande de service. J'ai la faculté de prendre des livres à la bibliothèque Royale et à celle de l'Institut. Mais deux ouvrages dont j'ai besoin, l'histoire de l'église de Reims par Marlot(8) et une histoire quelconque de la ville ou du diocèse de Soissons, ne se trouvent à aucune de ces deux bibliothèques. Si par hasard la bibliothèque Mazarine les possédait je Vous prierais de vouloir bien me les prêter pour quelques jours.

Agréez, Monsieur, les sentiments respectueux avec les quels j'ai l'honneurs d'être

Votre très humble et très obéissant serviteur.
A. Thierry

Rue de la Ville l'évêque n° 42
21 février 1827

 

2

Carquairannes près Hyères
(Var) le 14 Oct. 1829

Monsieur

Vous pardonnerez à un pauvre malade son peu d'exactitude, et vous ne le croirez pas, pour cela, moins touché de votre souvenir et de votre amitié. Depuis mon retour des eaux, où j'ai passé un mois, encore plus souffrant que d'habitude, j'ai bien des fois songé à vous écrire; mais j'ai différé de jour en jour, tantôt par fatigue, tantôt parce que j'attendois le grand événement que vous m'aviez fait espérer. C'étoit une mauvaise pensée, car, quoiqu'il arrive, Monsieur, ma reconnoissance sera la même, et je trouve du plaisir à vous en donner, dès aujourd'hui, la franche et complète assurance.

J'ignore entièrement quelles difficultés ont retardé jusqu'ici sa décision que vous regardiez comme prochaine il y a deux mois. Je suis patient et résigné dans ma solitude, et pourtant, je m'afflige quelquefois d'un délai qui paroît annoncer quelque changement dans les intentions de l'Académie(9); je puis vous l'avouer, Monsieur, à vous, qui en me donnant le premier des espérances, avez éveillé en moi la première pensée d'ambition, j'aurois le plus vif désir d'être un de vos collègues. Ce seroit le couronnement d'une vie qui ne doit pas être longue, la sanction de travaux qui resteront incomplets, parce que le tems manque à leur auteur. Mais aussi, j'ai besoin que les choses se hâtent un peu en ma faveur, car dans mon état d'Infirmité, je ne suis plus fait pour les longues espérances.

Bien des regrets se sont mêlés pour moi à la joie d'apprendre de vous-même que j'ai une part dans votre affection, pourquoi suis-je retenu loin de Paris et privé de vos entretiens qui me seroient à la fois si chers et si utiles? Vous m'auriez fait connoître tout un nouveau monde, en histoire, et votre jugement, si sûr, m'auroit soutenu et dirigé dans les véritables voies de la science: forcé maintenant de cheminer seul, je suis menacé de faire bien des écarts, ou même de rester en arrière. Plaignez-moi, Monsieur, et agréez l'expression sincère de ma haute estime et de mon entier dévouement.

p. Augustin Thierry

 

3

Carquairannes près Hyères (Var) le 13 Mai 1830

Monsieur et Cher Confrère,

Comme fairai-je pour reconnoître dignement l'amitié, la vive et franche amitié dont vous venez de me donner tant de preuves? Je vois à votre lettre qu'il vous a fallu soutenir bien des combats, lutter bien constamment et bien péniblement pour ma cause. Grâces vous soient rendues, à vous et à tous ceux de mes nouveaux confrères qui, sous votre conduite, se sont faits les défenseurs, les protecteurs d'un pauvre absent. Pour moi je suis heureux, non seulement d'avoir obtenu la retraite que j'ambitionnais, mais encore, mais surtout d'avoir gagné un ami tel que vous. Depuis l'instant où je vous vis chez moi pour la première fois, (car alors je voyais encore) je ne sais quel pressentiment me dit qu'il y avait quelque chose entre nous, que nous étions destinés à une liaison intime,

utrumque nostrum, incredibili modo,
consentit astrum…

J'emportais cet idée dans mon voyage de Suisse, et à mon retour, je fis une tentative pour le réaliser. L'époque était malheureuse, Madame votre mère se trouvait fort souffrante, Vous étiez trop inquiet pour recevoir de simples visites. Tout ce que je pus faire fut de vous prouver la part que je prenais à vos chagrins en me présentant souvent à votre porte. Mais presque aussitôt, ma maladie s'aggravant de plus en plus, je partis pour la Campagne, et au retour, six mois après, j'était si faible qu'il me fallut renoncer à toutes mes habitudes de société. J'allai encore une fois vous demander conseil sur ma première démarche de candidature, je vous trouvai bienveillant et encourageant, et, dans ma solitude forcée, malgré l'interruption de toute relation avec vous, je ne pouvais m'empêcher de songer que je vous devrais un jour mon entrée à l'Académie.

Ce jour est venu, et Dieu sait combien d'obstacles, de préventions, d'indifférence vous avez eu à vaincre. J'étais personnellement inconnu de toute la compagnie à l'exception de cinq ou six membres, et ma plus ancienne relation, celle sur laquelle je devais compter le plus, le croiriez-vous, c'était Mr. Daunou(10). Il y a dix ans, lorsque je n'avais fait que des bagatelles, il me louait outre-mesure, et aurait voter pour mon entrée aux deux académies; peut-être retrouvera-t-il, maintenant que je suis son confrère, quelque chose de cette ancienne bienveillance. Je le voudrais de tout mon coeur, car c'est un homme de savoir et de talent qu'on ne peut s'empêcher d'estimer. Il est fâcheux qu'il porte à un si haut degré l'esprit de parti littéraire.

Je désirerais adresser mes remerciements à l'Académie par l'entremise de son président, mais, ne sachant qui est maintenant président, je prend la liberté de joindre ici ma lettre sans adresse en vous priant de vouloir bien la remettre sous enveloppe. Adieu Monsieur et cher confrère, chargez-vous d'exprimer toute ma reconnaissance à vos amis qui, j'espère, deviendront les miens, et en particulier à Mr. De St. Martin dont la conversation si vive et si pleine de choses, m'a laissé des souvenirs que je ne perdrais jamais. Mon seul désir est maintenant de me trouver assi à côté de vous, à cette grande table verte que j'ai souvent regardée avec un oeil de convoitise et d'envie; je dis à côté de vous, car j'espère que cela sera possible, et qu'on laissera l'aveugle choisir sa place. Mais il faut que j'ajourne au printemps de l'année prochaine cette espérance qui m'est si chère. On pense qu'une prolongation de séjour dans le midi peut seule arrêter d'une manière fixe les progrès de ma maladie, et puis, je suis vraiment trop faible, trop incapable d'émotions nerveuses pour reprendre la vie de Paris. Je vais essayer les bains de mer; c'est, pour moi, le dernier remède, car j'en ai épuisé la liste; ensuite je passerai ici mon troisième hiver et puis je retournerai auprès de vous, et Dieu fera le reste. Mais cette lettre devient trop longue, je ne me lasse point de causer avec vous; adieu encore une fois, Monsieur et cher confrère, croyez à la vivacité et à la sincérité de mes sentimens d'affection pour vous. Je vous embrasse de tout mon coeur.

p. A. Thierry

 

ALEXIS DE TOCQUEVILLE

1

Vos raisons, monsieur, ou plutôt la raison qui parlait par votre bouche, après m'avoir convaincu, ce qui n'était pas difficile, en ont convaincu plusieurs autres.

J'ai donc fait hier ce que vous désiriez que je fisse, et j'ai hâte de vous le mander; parce que je vous crois assez de mes amis pour être sûr que cette nouvelle vous sera agréable.

J'ai été attiré un peu malgré moi sur le terrain où je me trouve, je vous l'ai confié avec franchise, mais maintenant que j'y suis, j'avoue qu'il me serait très pénible de ne pas réussir. Si j'avais dû être ballotté avec un autre que Mr. Lucas(11), j'aurais pris mon parti sans peine; mais des raisons que je vous expliquerai dès que l'élection sera faite, me rendrait une non réussite en face de Mr. L. une chose fort dure et fort humiliante, puisqu'il faut dire toute ma pensée, et je vous confesse que j'aurais bien de la peine à risquer une seconde épreuve.

Veuillez donc, Monsieur, non pas faire des démarches en ma faveur, ce qui ne conviendrait ni à vous ni à moi, mais rétablir certains faits obscurcis, auprès des académiciens de votre connaissance; il paraît entre autre qu'on veut tirer parti de mon âge; vous savez que je n'ai pas 29 ans comme on dit, mais que je vais en avoir 31. C'est là un fait matériel qu'il peut être utile de constater.

Il est très mal à vous de n'avoir pas voulu venir dîner chez moi mardi prochain avec mon père, mes frères et Mr. De Belisle(12). Je suis sûr que vous n'étiez pas engagé, mais vous me gardiez rancune. J'espère donc encore que vous vous raviserez.

En attendant, Monsieur, permettez moi de vous offrir l'expression de ma respectueuse considération et de mon sincère attachement

Alexis de Tocqueville

Vendredi matin

 

2

Mon cher monsieur Feuillet, voici une circonstance dans la quelle je sens le besoin de recourir aux avis de votre bonne amitié. Une place vacante à l'académie française. Plusieurs de mes amis me poussent de me mettre sur les rangs; mais je ne veux le faire que si j'ai des chances véritables. Car vous savez que mon goût n'est pas de courir après les honneurs académiques. Qu'en dites-vous vous-même? On assure que le seul adversaire sérieux serait Mr. Victor Hugo. Pensez-vous qu'il fut sage de se hasarder contre lui? cela dépendait beaucoup de l'opinion prévue des académiciens et c'est pour la connaître, s'il est possible, avant de faire aucune démarche, que j'aurais besoin que vous voulussiez bien me venir en aide. Il ne s'agit pas, comme vous pouvez croire, de demander des voix c'est un rôle qui ne conviendrait ni à moi ni à vous, mais si quelques uns de vos amis de l'académie française, Mr. Droz(13) par exemple, ne trouvaient pas d'inconvénient à faire connaître dès à présent leur opinion, vous comprenez combien il m'importerait de le savoir. Je m'en remets, du reste, entièrement à vous du soin de mener cette petite affaire et, quelqu'en soit l'issue, je serai bien sûr que vous y avez mis de la bonne volonté, de même que vous comptiez toujours, j'espère, sur la vive et sincère affection que je vous ai vouée

Alexis de Tocqueville

Tocqueville par St. Pierre Église
ce 10 8bre 1839

 

3

Mon cher monsieur Feuillet,

je voulais vous aller porter moi-même mon livre, c'est ce qui fait que vous ne l'avez pas encore. Le tems m'a manqué. Je crains qu'il ne me manque encore d'ici à deux jours et je ne veux pas cependant que vous vous figuriez que je vous oublie. Je prends donc le parti de vous envoyer l'ouvrage au lieu d'aller moi-même le remettre dans vos mains. Agréez-le je vous prie, comme un bien faible témoignage de tous les sentimens d'estime et d'affection que je vous porte

Alexis de Tocqueville

ce 27 avril 1840

rue Castellane n°11

(1) ANTONII SADEELIS CHANDEI, Opera theologica, Genevae, Ioannes Le Prevx 1592. Chandieu Antoine de la Roche, pseud. Sadeel théologien protestant, pasteur, professeur d'hébreux à Genève.

(2) Laurent François Feuillet (1768-1843). Il entra à la bibliothèque de l'Institut, y fut sous-bibliothécaire, puis bibliothécaire en chef en 1823.

(3) Jean Baptiste Perrier, littérateur français (1767-1842), nommé en 1791 principal au collège de Joigny, il devint peu de temps après chef du bureau de la justice militaire au ministère de la guerre. Il avait professé à l'Athénée et il faisait partie de plusieurs sociétés savantes.

* Il s'agit de l'annonce par Constant des trois conférences à l'Athénée royale en février et mars 1818 sur les principales époques des anciennes religions; ce morceau a été publié dans les «Annales Benjamin Constant», n° 22, 1999, pp. 141-142.

(4) Famille des libraires parisiennes.

(5) Christian Karl Josias Bunsen (1791-1860), antiquaire et diplomate allemand. Aegyptens Stelle in der Weltgeschichte (1845).

(6) Joseph Alexis Nicod de Ronchaud (n. 1816), archéologue.

(7) Charles Lenormant (1802-1852), savant archéologue et historien français. En 1828 il partit pour l'Égypte avec son ami Champollion le jeune. En 1848 il fut nommé professeur d'archéologie égyptienne au Collège de France.

(8) Guillaume Marlot (1596-1667), bénédictin et historien français. Citons de lui l'Histoire de la ville, cité et université de Reims (1843-1846).

(9) Augustin Thierry (1795-1856) fut élu membre de l'Académie des Inscriptions en 1831.

(10) Pierre Claude François Daunou, homme politique et historien (1761-1840). Il fut nommé conservateur des Archives de France et professeur d'histoire au Collège de France (1819).

(11) Charles Jean Marie Lucas (1803-1889), criminologue français. Inspecteur général des prisons de 1830 à 1865, il fut élu, en 1836, membre de l'Académie des sciences morales et politiques. Citons de lui Du système pénitentiaire en Europe et aux États Unis (1826-1830), Du système pénal en général et de la peine de mort en particulier (1827), De la réforme des prisons (1836-1838), l'École pénale italienne et ses principes fondamentaux (1837).

(12) Bon Georges Charles Évrard de Belisle de Saint-Rémy, père d'Émilie, l'épouse d'Hippolyte de Tocqueville.

(13) François Xavier Joseph Droz (1773-1850), moraliste et historien français, élu à l'Académie française en 1824.