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Edward Gibbon Essai sur l'étude de la
littérature
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Editorial note
| Sheffield's Introduction
| M. Maty, Avis au Lecteur - À l'Auteur XV. [Images artificielles tiennent à l'amour de la gloire.] J'ai
dit, il y a un moment, que la raison autorisoit ces images artificielles;
mais au tribunal de l'amour de la gloire, je ne sais si la décision seroit
la même. Nous aimons tous la gloire: mais rien n'est plus différent que
la nature et le dégré de cet amour. Chaque homme varie dans sa manière
de l'aimer. Cet écrivain n'aime que les éloges de ses contemporains. La
mort met fin [28] à toutes ses espérances et à toutes ses craintes.
Le tombeau qui couvre son corps peut ensevelir son nom. Un tel homme peut
sans scrupule employer des images familières aux seuls juges dont il recherche
les applaudissemens. Cet autre lègue son nom à la postérité la plus reculée
(23). Il se plait à penser que, mille
ans après sa mort, l'Indien des bords du Gange, et le Laponois au mileu
de ses glaces, liront ses ouvrages, et porteront envie au pays et au siècle
qui l'ont vû naître. XVI. [Et à la nature du sujet] Non-seulement le caractère de l'auteur, mais encore celui de son ouvrage, influe à cet égard sur sa conduite. La haute poësie, l'épopée, la tragédie, et l'ode emprunteront plus rarement ces images que la comédie et la satire, parcequ'elles peignent les passions, et que celles-ci crayonnent les murs. Horace et Plaute sont presqu'inintelligibles à quiconque n'a pas appris à vivre, et à penser comme le peuple Romain. Le rival de Plaute, l'élégant Térence, est mieux entendu, parcequ'il a sacrifié la plaisanterie au bon goût, au lieu que Plaute a immolé les bienséances à la [29] plaisanterie. Térence songeoit qu'il peignoit des Athéniens; tout dans ses pièces est Grec, hormis le langage (24): Plaute savoit qu'il parloit à des Romains: on retrouve chez lui à Thèbe, à Athènes, à Calydon, les murs, les loix et jusqu'aux bâtimens de Rome (25). XVII. [Contraste de l'enfance et de la grandeur de Rome] Dans les poëtes héroïques, les murs, bien qu'elles ne fassent pas le fond de leurs tableaux, en ornent souvent le lointain. Il est impossible de sentir le plan, l'art, et les détails de Virgile, sans être instruit à fonds de l'histoire, des loix, et de la religion des Romains, de la géographie de l'Italie, du caractère d'Auguste, de la relation singulière et unique que ce Prince soutenoit avec le sénat et le peuple (26). Rien de plus frappant, et de plus intéressant pour ce peuple, que le contraste de Rome couverte de paille, renfermant trois mille citoyens dans ses murs (27) , avec cette même Rome capitale de lunivers, dont les maisons étoient des palais, les citoyens des princes, et les provinces des [30] empires. Puisque Florus a su saisir ce contraste (28), on peut croire que Virgile ne la pas manqué. Il la peint des traits dun grand maître. Evandre conduit son hôte par ce village, où tout, jusquau monarque, respiroit la rusticité. Il lui en explique les antiquités, et le poëte laisse habilement entrevoir à quoi ce village, ce capitole futur, caché par les ronces, étoit réservé (29). Que ce tableau est [31] vif! Que ce contraste est parlant pour un homme instruit dans lantiquité! Quil est fade aux yeux de celui qui napporte à la lecture de Virgile, dautre préparation quun goût naturel, et quelque connoissance de la langue Latine! [Art de Virgile] XVIII. Mieux on possède lantiquité, plus on admire lart de ce poëte. Son sujet étoit assez mince. La fuite dune bande dexilés, le combat de quelques villageois, létablissement dune bicoque, voilà les travaux tant vantés du pieux Enée. Mais le poëte les a annoblis, et il a su, en les annoblissant, les rendre encore plus intéressans. Par une illusion trop fine pour ne pas se dérober au commun des lecteurs, et trop heureuse pour déplaire aux juges, il embellit les moeurs des siècles héroiques, mais il les embellit sans les déguiser (30). Le pâtre Latinus et le séditieux Turnus sont transformés en monarques puissans. Toute lItalie craint pour sa liberté. Enée triomphe des hommes et des dieux. Virgile sait encore faire rejaillir sur les Troyens toute la gloire des Romains. Le fondateur de Rome fait disparoître celui de [32] Lavinium. Cest un feu qui sallume. Bientôt il embrasera toute la terre. Enée (si jose hasarder lexpression) contient le germe de tous ses descendans. Assiégé dans son camp, il nous rappelle César et Alexia (31) . Nous ne partageons point notre admiration. Jamais Virgile nemploye mieux cet art, que lorsque, descendu aux enfers avec son héros, son imagination en paroît affranchie. Il ny crée point dêtres nouveaux et fantasques. Romulus et Brutus, Scipion et César sy montrent, tels que Rome les admira ou les craignit. [Les Georgiques] XIX. On lit les Georgiques avec ce goût vif quon doit au beau, et avec ce plaisir délicieux que laménité de leur objet inspire à toute ame honnête et sensible. On pourroit cependant sentir croître son admiration, si lon découvroit chez leur auteur un but aussi relevé que lexécution en est achevée. Je puise toujours mes exemples chez Virgile. Ses beaux vers et les préceptes de son ami Horace, fixèrent le goût des Romains, et peuvent instruire la postérité la plus reculée. Mais pour développer mes idées, il faut les prendre dun peu loin. [Les vétérans] XX. Les premiers Romains combattoient pour la gloire et pour la patrie. Depuis le siège de Veïes (32) ils recevoient une paye assez modique, et [33] quelquefois des récompenses après les triomphes (33); mais les recevoient comme une grace, et non comme une dette. La guerre finie, chaque soldat, devenu citoyen, se retiroit dans sa cabane et y suspendoit ses armes inutiles, prêt à les reprendre au premier signal. Quand Sylla rendit la tranquillité à la république, les choses étoient bien changées. Plus de trois mille hommes, accoutumés au carnage et au luxe (34), sans biens, sans patrie, sans principes, exigeoient des récompenses. Si le dictateur les leur avoit données en argent, suivant le taux établi ensuite par Auguste, elles lui auroient couté plus de trente-deux millions de notre monnoye (35) , somme [34] immense dans les tems les plus prospères, mais alors au-dessus des facultés de la république. Sylla embrassa un parti, que la nécessité et son intérêt particulier, plutôt que le bien de létat, lui dictèrent: il donna des terres aux soldats. Quarante-sept légions furent dispersées dans lItalie. On fonda vingt-quatre colonies militaires (36). Expédient ruineux: si on les mêloit, ils quittoient leurs habitations pour se retrouver; si on les laissoit en corps, le premier séditieux y trouvoit une armée toute prête (37) . Ces vieux guerriers ennuyés du repos, et trouvant au-dessous deux dacheter par la sueur ce qui pouvoit ne couter que du sang (38) , dissipèrent leurs nouveaux biens par la débauche, et nespérant de salut que dans une guerre civile, servirent puissamment les desseins de Catilina (39). Auguste, pressé par les mêmes embarras, suivit le même plan, et en [35] craignit les mêmes suites. La triste Italie fumoit encore "Des feux qua rallumé sa liberté mourante" (40) Les hardis vétérans navoient acheté leurs possessions que par une guerre sanglante, et leurs fréquens actes de violence montroient assez quils se croyoient toujours les armes à la main (41)
[But de Virgile] XXI. Quy avoit-il alors de plus assorti à la douce politique dAuguste, que demployer les chants harmonieux de son ami, pour les réconcilier à leur nouvel état? Aussi lui conseilla-t-il de composer cet ouvrage. Da facilem cursum, atque audacibus annue coeptis; Lagriculture avoit cependant plus de cinquante écrivains Grecs§; les livres de Caton et de Varron étoient des guides plus sûrs, plus minutieux, et plus exacts que ne pouvoit lêtre un poëte. Mais il falloit faire goûter à des soldats le repos de la campagne plutôt que de les instruire dans les principes de lagriculture: de là toutes ces descriptions touchantes des plaisirs innocens du campagnard, ses jeux, ses foyers, ses retraites délicieuses opposées aux amusemens frivoles des hommes, et à leurs affaires plus frivoles que leurs amusemens. [36] Il y a dans ce tableau de ces traits vifs et inattendus, de ces détours cachés et heureux, qui montrent dans Virgile, un génie pour la satire, que des vues supérieures et la bonté de son coeur lempêchoient seules de cultiver (43). Quel vétéran ne se reconnossoit pas dans le vieillard Corycien (44)? Comme eux accoutumé aux armes dès sa jeunesse, il trouvoit enfin le bonheur dans une retraite sauvage, que ses travaux avoient transformée en un lieu de délices (45). LItalien, las de mener une vie remplie de craintes légitimes, déploroit avec Virgile les malheurs du tems, et plaignoit son prince de se voir emporté par la violence des vétérans, Ut cum carceribus sese effudêre quadrigae, et recommençoit ses travaux dans lespoir dun nouveau siècle dor. [Son succès] XXII. Si lon adopte mes idées, Virgile nest plus un simple écrivain, qui décrit les travaux rustiques. Cest un nouvel Orphée, qui ne manie sa lyre, que pour faire déposer aux sauvages leur [37] férocité et pour les réunir par les liens des moeurs et des loix (47). Ses chants produisirent cette merveille. Les vétérans saccoutumèrent insensiblement au repos. Ils passèrent en paix les trente ans qui sécoulèrent avant quAuguste eût établi, non sans beaucoup de difficulté, un trésor militaire pour les payer en argent (48). [LA CRITIQUE. Idée de la critique] XXIII. Aristote, qui portoit la lumière dans les ténèbres de la nature et de lart, est le père de la critique. Le tems, dont la justice lente, mais sûre, met enfin la vérité à la place de lerreur, a brisé les statues du philosophe, mais a confirmé les décisions du critique. Destitué dobservations, il a donné des chimères pour des faits. Formé dans lécole de Platon, et dans les écrits dHomère, de Sophocle, dEuripide et de Thucydide, il a puisé ses règles dans la nature des choses et dans la connoissance du coeur humain. Il les a éclaircies par les exemples des plus grands modèles. Deux mille ans se sont écoulés depuis Aristote. Les critiques ont perfectionné leur art. Cependant ils ne sont pas encore daccord sur lobjet de leurs travaux. Les le Clerc, les Cousin, les Desmaiseaux, les de Sainte-Marthe (49), nous en offrent [38] des définitions différentes. Pour moi, je les crois toutes ou trop partiales, ou trop arbitraires. La critique est, selon moi, lart de juger des écrits et des écrivains, ce quils ont dit, sils lont bien dit, sils ont dit vrai (50). De la première de ces branches découle la grammaire, la connoissance des langues et des manuscrits, le discernement des ouvrages supposés, le rétablissement des endroits corrompus. Toute la théorie de la poesie et de léloquence se tire de la seconde. La troisième ouvre un champ immense, lexamen et la critique des faits. On pourroit dons distinguer la nation des critiques, encritiques grammairiens, en critiques rhéteurs et en critiques historiens. Les prétansions exclusives des premiers ont nui non seulement à leur travail, mais à celui de leurs confères. [Matériaux du critique] XXIV. Tout ce quont été les hommes, tout ce que le génie a créé, tout ce que la raison a pesé, tout ce que le travail a recueilli, voilà le département de la critique. La justesse desprit, la finesse, la pénétration, sont toutes nécessaires pour lexercer dignement. Je suis le littérateur dans son cabinet, je le vois entouré des productions de tous les siècles: sa bibliothèque en est remplie: son esprit en est éclairé, sans en être chargé. Il étend ses regards de tous côtés. Lauteur le plus éloigné du travailo de linstant, nest pas oublié: un trait lumineux pourroit sy rencontrer, qui confirmeroit les [39] découvertes du critique ou qui ébranleroit ses hypothèses. Le travail de lérudit est achevé. Le philosophe de nos jours sy arrête et loue la mémoire du c ompilateur. Celui-ci en est quelquefois la dupe, et prend les matériaux pour lédifice. [Opérations du critique] XXV. Mais le vrai critique sent que sa tâche ne fait que commencer. Il pèse, il combine, il doute, il décide. Exact et impartial, il ne se rend quà la raison, ou à lautorité qui est la raison des faits (51) . Le nom le plus respectable le cède quelquefois au témoignage décrivains auxquels les circonstances seules donnent un poids momentané. Prompt et fécond en ressources, mais sans fausse subtilité, il ose sacrifier lhypothèse la plus brillante, la plus spécieuse, et ne fait point parler à ses maîtres le langage de ses conjectures. Ami de la vérité, il cherche le genre de preuves qui convient à son sujet, et il sen contente. Il ne porte point la faux de lanalyse sur ces beautés délicates, qui se fanent sous la touche la moins rude: mais aussi, peu content dune admiration stérile, il fouille jusque dans les principes les plus cachés du coeur humain, pour se rendre raison de ses plaisirs et de ses dégoûts. Modeste et sensé il nétale point ses conjectures comme des vérités, ses indictions comme des faits, ses vraisemblances comme des démonstrations. [La critique une bonne logique] XXVI. On dit que la géométrie étoit une bonne logique, et lon a cru lui donner un grand éloge: il est plus glorieux aux sciences de développer ou de perfectionner lhomme, que de reculer [40] les bornes de lunivers. Mais la critique ne peut-elle pas partager ce titre? Elle a même cet avantage: la géométrie soccupe de démonstrations qui ne se trouvent que chez elle; la critique balance les différens dégrés de vraisemblance. Cest en les comparant que nous réglons tous les jours nos actions, que nous décidons souvent de notre sort (52). Balançons des vraisemblances critiques. [Controverse sur lhistoire Romaine] XXVII. Notre siècle, qui se croit destiné à changer les loix en tout genre, a enfanté un Pirrhonisme historique, utile et dangereux. M. De Pouilly, esprit brillant et superficiel, qui citoit plus quil ne lisoit, douta de la certitude (53) de cinq premiers siècles de Rome; mais son imagination peu faite pour ces recherches, céda facilement à lérudition et à la critique de M. Freret et de lAbbé Sallier (54). M. De Beaufort fit revivre cette controverse, et lhistoire Romaine souffrit beaucoup des attaques dun écrivain, qui savoit douter et qui savoit décider. [Traité entre Rome et Carthage] XXVIII. Un traité des Romains et des Carthaginois devint entre ses mains une objection accablante (55). . Ce traité se rencontre chez Polybe, [41] historien exact et éclairé (56). Loriginal se conservoit à Rome de son tems. Cependant ce monument authentique contredit tous les historiens. L. Brutus et M. Horatius y paroissent comme exerçant le consulat ensemble, quoiquHoratius ny parvint quaprès la mort de Brutus. Les Romains y ont des sujets qui nétoient encore que leurs alliés. On entend parler de la marine dun peuple qui ne construisit ses premiers vaisseaux que dans la première guerre Punique, deux cens cinquante ans après le consulat de Brutus. Quelles conclusions fatales ne tire-t-on de cette contrariété? Elles sont toutes au désavantage des historiens. [Le traité éclairci] XXIX. Cette objection a fort embarassé les adversaires de M. De Beaufort. Ils ont douté de lauthenticité de ce monument original. Ils en ont avancé la date. Tachons par une explication vraisemblable de concilier le monument et les historiens. Séparons dabord la date davec le corps du traité. Celui-ci est du tems de Brutus. Celle-là est de la façon de Polybe ou de ses antiquaires Romains. Les noms des consuls ne se lisoient jamais dans les traités solemnels, dans les foedera consacrés par toutes les cérémonies de la religion. Les seuls ministres de cette religion, les féciaux, les signoient: et cette circonstance distinguoit les foedera et les sponsiones. Nous devons ce détail à Tite Live (57). Il fait disparoître la difficulté. Les [42] antiquaires auront pris les féciaux pour les consuls. Mais sans songer à cette méprise, ces antiquaires, que rien nobligeoit à la précision dans lexplication des monumens publics, ont marqué lannée du régifuge, par les noms célèbres du fondateur de la liberté et de celui du capitole. Il leur importoit peu de sassurer sils exercèrent le consulat ensemble. [Les sujets des Romains] XXX. Les peuples dArdée, dAntium, de Terracine nétoient point sujets des Romains, ou sils létoient, les historiens nous ont donné une idée très fausse de létendue de la république. Transportons-nous dans le siècle de Brutus, et puisons dans la politique des Romains, une définition du terme dallié assez éloignée de la nôtre. Rome, quoique la dernière colonie des latins, songea de bonne heure à réunir toute cette nation sous ses loix. Sa discipline, ses héros et ses victoires lui acquirent bientôt une supériorité décidée. Fiers, mais politiques, les Romains en usèrent avec une sagesse digne de leur bonheur. Ils comprirent que des cités mal-asservies arrêteroient les armes, épuiseroient les trésors, et corromproient les moeurs de la république. Sous le nom plus spécieux dalliés, ils surent faire aimer leur joug aux vaincus. Ceux-ci consentirent avec plaisir à reconnoître Rome pour la capitale de la nation Latine, et à lui fournir un corps de troupes dans toutes ses guerres. La république ne leur devoit quune protection, marque de sa souveraineté et qui leur coutoit si cher. Ces peuples étoient alliés de Rome, mais ils virent bientôt eux-mêmes quils en étoient esclaves (58). [. . .] XXXI. Cette explication diminue la difficulté, me dira-t-on, mais ne la dissipe pas. Ypekooi, lexpression dont se sert Polybe, signifie sujet, dans le sens propre du mot. Je ne le contesterai pas. Mais nous navons que la traduction de ce traité; et si lon accorde à ses copies une confiance conditionelle pour le fond des choses, il ne doit pas être permis de rien conclure de leurs expressions prises à la rigueur. Les assemblages didées sont si arbitraires, que le plu habile traducteur peut chercher des expressions équivalentes, mais nen trouve guères que de semblables (59). Le langage de ce traité étoit ancien. Polybe se fia aux antiquaires Romains. La vanité leur grossit les objets. Foederati ne signifie pas des alliés égaux: rendons-le ,dirent-ils, par sujets. [Leur marine] XXXII. La marine des Romains embarassa encore nos critiques. Polybe nous assure que la flotte de Duillius fut leur premier essai dans ce genre (60). Eh bien, Polybe se trompe, puisquil se contredit; voilà toute ma conclusion. Mais en admettant même son récit, lhistoire Romaine ne sécrouleroit cependant pas. Voici une hypothèse qui explique ce phénomène dune manière raisonnable; et cest tout ce quon est en droit dexiger dune hypothèse. Tarquin opprime le peuple et les soldats. Il sapproprie tout le butin. On se dégoûte de la milice. On équipe de petits bâtimens qui font des courses sur mer. La république naissante les protège, mais met un frein par ce traité à leurs déprédations. Des guerres continuelles, la paye quon accorde aux troupes de terre, font négliger la marine; et dans un siècle ou deux, on oublie quelle a jamais existé (61). Polybe aura parlé dune façon un peu trop générale.
[Réflexions sur cette dispute] XXXIV. Jai défendu avec plaisir une histoire utile et intéressante. Mais jai voulu surtout montrer par ces réflexions, combien sont délicates les discussions de la critique, où il ne sagit pas de saisir la démonstration, mais de comparer le poids des vraisemblances opposées; et combien il faut se défier des systhêmes les plus éblouissans, puisquil y en a si peu qui soutiennent lépreuve dun examen libre et attentif. [La critique une pratique sans être une routine] XXXV. Une nouvelle considération embarasse la critique dune nouvelle difficulté. Il est des sciences qui ne sont que des connoissances: leurs principes sont des vérités de spéculation et non des maximes de conduite. Il est plus facile de comprendre stérilement une proposition, que de se la rendre familière, de lappliquer avec justesse, de sen servir comme dun guide dans ses études, et dun flambeau dans ses découvertes. La marche de la critique nest point une routine. Ses principes généraux sont vrais, mais stériles. Celui qui ne connoît queux, se mépren également quil veuille les suivre ou quil ose sen écarter. Le génie plein de ressources, maître des règles, mais maître aussi des raisons des règles, paroît souvent les mépriser. Sa route nouvelle et hardie semble len éloigner: mais suivez-le jusquau bout, vous voyez en lui un admirateur, mais un admirateur éclairé des mêmes règles, qui sont toujours la base de ses raisonnemens et de ses découvertes. Que toutes les sciences fussent legum non hominum respublica, voilà le souhait du peuple des savans. Son accomplissement feroit son bonheur: mais on ne sait que trop que le boheur des peuples et la gloire de ceux qui les éclairent ou qui les gouvernent, sont des objets souvent différens, et quelquefois opposés. Les savans du preimier ordre ne veulent que des études senblables à la lance dAchille: elle nétoit faite que pour la main du héros. Essayons de la manier. [Le poëte peut-il sécarter de lhistoire?] XXXVI. Le législateur de la critique a prononcé, que le poëte doit rendre les héros tels que lhistoire nous les fait connoître: Aut famam sequere, aut sibi convenientia finge, Rèduirons-nous donc le peote au rôle dun froid annaliste? Lui ôterons-nous ce grand pouvoir de la fiction, ce contraste, ce choc des caractères, ces situations inattendues où lon tremble pour lhomme, où lon admire le héros? Ou bien, plus amis des beautés que des règles, lui pardonnerons-nous plus aisément les anachronismes que lennui? [La loi et raison de la loi. Exemple de Virgile] XXXVII. Charmer, atte4ndrir, élever lesprit, cest-là lobjet de la poesie. Les loix partiales ne doivent jamais faire perdre de vue quelles ne sont que des moyens destinés à aider ses opérations, et non à les embarrasser. On a vu que la philosophie hérissée de démonstrations, ose à peine entamer les idées reçues; commet la poesie pourroit-elle espérer de plaire quen sy prêtant? Nous nous plaisons à revoir les héros et les événemens de lantiquité: paroissent-ils travestis, ils produisent la surprise, mais une surprise qui révolte contre les nouveautés. Lorsquun auteur veut hasarder quelque chamgement, il doit réfléchir sil en naît une beauté frappante ou légère, mais toujours proportionnée à la violation des loix. Ce nest quà ce prix quil peut racheter son attentat. Les anachronismes dOvide nous déplaisent (66). La vérité y est corrompue sans être embellie. Que le Mezence de Virgile est dun caractère différent! Ce prince ne périt que par les armes dAscagne (67). Mais quel lecteur assez glacé pour y songer un instant, lorsquil voit Enée, ministre des vengeances célestes, devenir le protecteur des nations opprimées, lancer la foudre sur la tête du coupable tyran, mais sattendrir sur la victime infortunée de ses coups, le jeune et pieux Lausus digne dun autre père, et dun destin plus propice? Que de beautés lhistoire faisoit perdre au poëte! Encouragé par ce succès, il labandonne quand il eût dû la suivre. Enée arrive dans lItalie si désirée; les Latins accourent pour défendre leurs foyers, tout menace du plus sanglant combat "Déjà de traits en lair sélevoit
un nuage; Le nom dEnée fait tomber les armes aux ennemis. Ils craignent de combattre ce guerrier, dont la gloire sélève des cendres de sa patrie. Ils courent embrasser ce prince annoncé par tant doracles, qui leur apporte du fond de lAsie, ses dieux, une race de héros, et la promesse de lempire de lunivers. Latinus lui offre un asile et sa fille. (69) Quel coup de théâtre! Quil étoit digne de la majesté de lépopée, et de la plume de Virgile! Quon lui compare, si on lose, lambassade dIlioneus, le palais de Latinus, et le discours du monarque (70). [Eclaircissemens et restrictions] XXXVIII. Que le poëte, je le répète encore, ose hasarder, pourvû que le lecteur retrouve toujours dans ses fictions, ce même dégré de plaisir que la vérité et les convenances lui eussent offert. Quil ne bouleverse pas les annales dun siècle pour dire une antithèse. Linvention ne trouvera pas cette loi trop sévère, si elle réfléchit que le sentiment appartient à tous les hommes, que les connoissances ne sont le partageque dun petit nombre, et que le beau agit plus puissamment sur lame que le vrai sur lesprit. Quelle se souvienne toutefois quil est des écarts que rien ne peut faire oublier. Limagination forte de Milton, la versification harmonieuse de Voltaire, ne nous reconcilieroient jamais avec César lâche, Catilina vertueux, Henri IV, vainqueur des Romains. Disons en rassemblant nos idées, que les caractères des grands hommes doivent être sacrés; mais que les poëtes peuvent écrire leur histoire, moins comme elle a été, que comme elle eût dû être; quune création nouvelle révolte moins que des changemens essentiels, parce que ceux-ci supposent lerreur, et celle-là une simple ignorance; et quenfin on rapproche plus aisément les tems que les lieux. On doit sans doute de lindulgence aux siècles reculés, où les systêmes des chronologistes sont les fictions des poëtes, à lagrément près. Quiconque ose condamner lépisode de Didon est plus philosophe ou moins homme de goût que moi (71). [Les sciences naturelles] XXXIX. Plus on a approfondi les sciences, plus on a vu quelles étoient toutes liées. On a cru voir un bois immense. Au premier coup doeil tous les arbres qui le formoient paroissoient isolés, mais a-t-on percé la superficie, on a vu que toutes les racines étoient entremêlées. Il ny a point détude, pas même la plus chétive et la moins connue, qui noffre quelquefois des faits, des ouvertures, des objections à la plus sublime et à la plus éloignée des connoissance. Jaime à peser sur cette considération. Il faut faire voir aux nations et aux professions différentes, leurs besoins réciproques. Montrez à lAnglois les avantages du François; faites connoître au physicien les secours que la littérature lui présente; lamour-propre supplée à ce que la discrétion vous a fait supprimer. Ainsi la philosophie sétend: lhumanité gagne. Les hommes étoient rivaux; ils sont frères. [Liaison de la physique et de la littérature] XL. Dans toutes les sciences nous nous appuyons sur les raisonnemens et sur les faits. Sans ceux-ci nos études seroient chimériques: privées de ceux-là elles ne sauroient être quaveugles. Cest ainsi que les Belles Lettres sont mélangées. Toutes les branches de létude de la nature, qui cache souvent sous une petitesse apparente une grandeur réelle, le sont, pareillement. Si la physique a ses Buffons, elle a aussi (pour parler le langage du tems) ses érudits. La connoissance de lantiquité leur offre aux uns et aux autres, une riche moisson de faits propres à dévoiler la nature, ou du moins à empêcher ceux qui létudient, de prendre un nuage pour une divinité. Quelles lumières le médicin ne puise-t-il pas dans la description de la peste qui désola Athènes? Jadmire avec lui la force majestueuse de Thucydide (72), lart et lénergie de Lucrèce (73); mais il va plus loin: il étudie dans les maux des Athéniens ceux de ses concitoyens. Je sais que les anciens sappliquoient peu aux sceinces naturelles; que destitués dinstrumens, et isolés dans leurs travaux, ils nont pû rassembler quun petit nombre dobservations mêlées dincertitudes, diminuées par les injures du tems, et jettées au hasard dans un grand nombre de volumes (74) : mais la pauvreté doit-elle inspirer la négligence? Lactivité de lesprit humain sexcite par les difficultés. La nécessité, mère du relâchement, seroit un assemblage étrange. [Avantages des anciens. Spectacles de lamphithéâtre] XLI. Les partisans mêmes les plus zélés des modernes, ne disconviendront pas, je pense, de secours que les anciens possédoient et dont nous manquons. Je rappelle en frémissant les spectacles sanglans des Romains. Le sage Cicéron les détestoit et les méprisoit (75). La solitude et le silence lemportoient de beaucoup chez lui, sur ces chefs-doeuvre de magnificence, dhorreur et de mauvais goût (76). En effet, se plaire au carnage, nest digne que dune troupe de sauvages. On ne pouvoit élever des palais, pour y faire combattre des bêtes, que chez un peuple qui préféroit les décorations aux beaux vers, et les machines aux situations. (77) Mais tels étoient les Romains: leurs vertus, leurs vices, et jusquà leurs ridicules étoient tous liés à leur principe dominant, lamour de la patrie. Cependant ces spectacles, si affreux aux yeux du philosophe, si frivoles à ceux de lhomme de goût, devoient être bien précieux pour le naturaliste. Quon se représente le monde épuisé pour fournir ces jeux, les trésors des riches et le pouvoir des grands mis en oeuvre pour déterrer des créatures singulières par leur force, ou par leur rareté, pour les amener dans lamphithéâtre de Rome, et pour mettre en jeu lanimal entier (78). Ce devoit être une école admirable, surtout pour cette partie la plus noble de lhistoire naturelle, qui sapplique plutôt à étudier la nature et les proprietés des animaux, quà décrire leurs os et leurs cartilages. Souvenons-nous que Pline a fréquenté cette école, et que lignorance a deux filles, lincrédulité et la foi aveugle. Ne défendons pas moins notre liberté contre lune que contre lautre. [Pais où les physiciens anciens étudioient la nature] XLII. Si lon sort de ce théâtre, pour entrer dans un autre plus vaste, et pour examiner quelles étoient les contées soumises aux naturalistes et aux physiciens de lantiquité , nous ne les plaindrons pas. Je sais que la navigation nous a ouvert un nouvel hémisphère; mais je sais aussi que la découverte dun matelot et le voyage dun marchand, néclairent pas toujours le monde, comme ils lenrichissent. Les limites du monde connu sont plus étroit que celles du monde matériel; et les bornes du monde éclairé sont encore plus resserrées. Du tems des Pline, des Ptolomée,et des Galien, lEurope à présent le siège des sciences, létoit également; mais la Grèce, lAsie, la Syrie, lAegypte, lAfrique, pais féconds en miracles, étoient remplis dyeux dignes de les voir. Tout ce vaste corps étoit uni par la paix, par les loix et par la langue. LAfricain et le Breton, lEspagnol et lArabe se rencontroient dans la capitale, et sinstruisoient tour-à- tour. Trente des premiers de Rome, souvent éclairés eux-mêmes, toujours accompagnés de ceux qui létoient (79), partoient tous les ans de la capitale pour gouverner les provinces, et pour peu quils eussent de curiosité, lautorité applanissoit les routes de la science. [La Grande Bretagne inondée par locéan.] XLIII. Cétoit sans doute de son beua-père Agricola, que Tacite apprît que locéan inondoit la Grande Bretagne, et rendoit ce pais un amas de marais (80). Hérodien nous confirme ce fait (81). Cependant aujourdhui, à quelques endroits près, le terrein de notre île est assez élevé (82). Pourroit-on ranger ce fait parmi ceux qui confirment le systême de la diminution des eaux? Trouvera-t-on dans les ouvrages des hommes, de quoi affranchir le pais du joug de locéan? Le sort du marais de Pomptine (83) et quelques autres, nous donneroit dassez minces idées de leurs travaux. Quoiquil en soit, content davoir fourni les matériaux, jen laisse lemploi aux physiciens. Ce nest pas chez les anciens quon apprend à napprofondir rien, à effleurer chaque chose, et à parler avec le plus de hardiesse de sujet quon entend le moins. [LEsprit Philosophique. Prétensions à lesprit philosophique] XLIV. " Après lesprit de discernement, ce quily a de plus rare au monde (dit le judicieux la Bruyère) ce sont les perles et les diamans". Je mets sans balancer lesprit philosophique avant celui du discernement. Cest la chose du monde laplus prônée, la plus ignorée et la plus rare. Il ny a point décrivain qui ny aspire. Il sacrifie de bonne grace la science. Pour peu que vous le pressiez, il conviendra que le jugement sévère embarasse les opérations du génie: mais il vous assurera toujours que cet esprit philosophique qui brille dans ses écrits, fait le caractére du siècle où nous vivons. Lesprit philosophique dun petit nombre de grands hommes, a formé, selon lui, celui du siècle. Celui-ci sest répandu dans tous les ordres de létat, et leur a préparé à son tour de dignes successeurs. [Ce quil nest pas] XLV. Cependant si nous jettons les yeux sur les ouvrages de nos sages, leur diversité nous laisseroit dans lincertitude sur la nature de ce talent; et celle-ci pourroit nous conduire à douter sil leur est tombé en partage. Chez les uns il consiste à se frayer des routes nouvelles, et à fronder toute opinion dominante, fut-elle de Socrate ou dun inquisiteur Portugais, par la seule raison quelle est dominante. Chez les autres cet esprit sidentifie avec la géométrie, cette reine impérieuse qui, non contente de régner, proscrit ses soeurs, et déclare tout raisonnement peu digne de ce nom, sil ne roule pas sur des lignes et sur des nombres. Rendons justice à lesprit hardi, dont les écarts ont quelquefois conduit à la vérité, et dont les excès mêmes, comme les rébellions des peuples, inspirent une crainte salutaire au despotisme. Pénétrons-nous bien de tout ce que nous devons à lesprit géomètre: mais cherchons pour lesprit philosophique, un objet plus sage que celui-là, et plus universel que celui-ci. [Ce quil est] XLVI. Quiconque sest familiarisé avec les écrits de Cicéron, de Tacite, de Bacon, de Leibnitz, de Fontenelle, de Montesquieu, sen sera fait une idée aussi juste et bien plus parfaite que celle que jessayerai de tracer. Lesprit philosophique consiste à pouvoir remonter aux idées simples; à saisir et à combiner les premiers pricipes. Le coup doeil de son possesseur est juste, mais en même tems étendu. Placé sur une hauteur, il embrasse une grande étendue de pais, dont il se forme une image nette et unique, pendant que des esprits aussi justes, mais plus bornés, nen découvrent quune partie. Il peut être géomètre, antiquaire, musicien, mais il est toujours philosophe, et à force de pénétrer les premiers principes de son art, il lui devient supérieur. Il a place parmi ce petit nombre de génies qui travaillent de loin en loin à former cette première science à laquelle, si elle étoit perfectionnée, les autres seroient soumises. En ce sens cet esprit est bien peu commun. Il est assez de génies capables de recevoir avec justesse des idées particulières; il en est peu qui puissent renfermer dans une seule idée abstraite, un assemblage nombreux dautres idées moins générales. [Le secours quil peut tirer de la littérature] XLVII. Quelle étude peut former cet esprit? Je nen connois aucune. Don du ciel, le grand nombre lignore ou le méprise; les sages le souhaitent; quelques-uns lont reçu; nul ne lacquiert: mais je crois létude de la littérature, cette habitude de devenir, tour à tour, Grec, Romain, disciple de Zénon ou dEpicure, bien propre à le développer et à lexercer. A travers cette diversité infinie desprits, on remarque une conformité générale entre ceux à qui leur siècle, leur pais, leur religion ont inspiré uine manière à peu près pareille denvisager les mêmes objets. Les ames les plus exemptes de préjugés, ne sauroient sen défaire entièrement. Leurs idées ont un air de paradoxe; et en brisant leurs chaines, vous sentez quelles les ont portées. Je cherche chez les Grecs des fauteurs de la démocratie; des enthousiastes de lamour de la patrie chez les Romains; chez les sujets de Commode, de Sévère ou de Caracalla, des apologistes du pouvoir absolu; et chez lEpicurien de lantiquité (84), la condamnation de sa religion. Quel spectacle pour un esprit vraiment philosophique de voir les opinions les plus absurdes reçues chez les nations les plus éclairées, des barbares parvenus à la connoissance des plus sublimes vérités, des conséquences vraies, mais peu justes, tirées des principes les plus erronés, des principes admirables qui approchoient toujours de la vérité sans jamais y conduire, le langage formé sur les idées, et les idées justifiées par le langage, les sources de la morale partout les mêmes, les opinions de la contentieuse métaphysique partout variées, dordinaire extravagantes, nettes seulement pendant quelles furent superficielles, subtiles, obscures, incertaines toutes les fois quelles prétendirent à la profondeur! Un ouvrage Iroquois, fut-il rempli dabsurdités, seroit un morceau impayable. Il offriroit une expérience unique de la nature de lesprit humain, placé dans des circonstances que nous navons jamais éprouvées, et dominé par des moeurs et des opinions religieuses totalement contraires aux nôtres. Quelquefois nous serions frappés et instruits par la contrariété des idées qui en naîtroient; nous en chercherions les raisons; nous suivrions lame derreur en erreur. Quelquefois aussi nous reconnoîtrions avec plaisir nos principes, mais découverts par dautres routes et presque toujours modifés et altérés. Nous y apprendrions non seulement à avouer, mais à sentir la force des préjugés, à ne nous étonner jamais de ce qui nous paroît le plus absurde, et à nous défier souvent de ce qui nous semble le mieux établi. Jaime à voir les jugemens des hommes prendre une teinture de leurs préventions, à les considérer qui nosent pas tirer des principes quils reconnoissent pour être justes, les conclusions quils sentent être exactes. Jaime à les surprendre qui détestent chez le barbare, ce quil admirent chez le Grec, et qui qualifient la même histoire dimpie chez le Payen, et de sacrée chez le Juif. Sans cette connoissance philosophique de lantiquité, nous ferions trop dhonneur à lespèce humaine. Lempire de la coutume nous seroit peu connu. Nous confondrions à tout moment lincroyable et labsurde. Les Romains étoient éclairés; cependant ces mêmes romains ne furent pas choqués de voir réunir dans la personne de César un Dieu, un prêtre et un Athée (85). Il vit élever des temples à sa clémence (86). Collègue de Romulus, il recevoit les voeux de la nation (87). Sa statue étoit couchée, dans les fêtes sacrées, auprès de ce Jupiter quun instant après il alloit lui-même invoquer (88). Fatigué de cette vaine pompe, il cherchoit Pansa et Trébatius pour se moquer avec eux de la crédulité du peuple, et de ses Dieux leffet et lobjet de sa terreur (89). [Lhistoire est la science des causes et des effets] XLVIII. Lhistoire est pour un esprit philosophique, ce quétoit le jeu pour le Marquis de Dangeau (90). Il voyoit un systême, des rapports, une suite, là, où les autres ne discernoient que les caprices de la fortune. Cette science est pour lui celle des causes et des effets. Elle mérite bien que jessaie de poser quelques règles propres, non à faire germer le génie, mais à le garantir des écarts: peut-être que si on les avoit toujours bien pesées, on auroit pris plus rarement la subtilité pour la finesse desprit, lobscurité pour la profondeur, et un air de paradoxe pour un génie créateur. Editorial note
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(23) Vie de Bacon par Mallet, p. 27. (24) V. Terent. Eunuch. Act. II, Sc. II. Heauton, Act. I, Sc. I. Les Cupedinarii dont parle Térence ne détruisent point cette réflexion. Ce mot (quand même on nadopteroit pas la conjecture de Saumaise) étoit devenu dun nom propre, un nom appellatif. V. Térence Eunuch. sct. II, sc. II. (25) Amphytr. act. I,sSc. I. Quid faciam nunc, si Tresviri me in carcerem compegerint, &c. (26) V. les Dissertations de M. De la Bleterie sur le pouvoir des Empereurs. Mèm de lAcad. des Belles-Lettres, tom. XIX, p. 357-457, tom. XXI, p. 299, &C. tom. XXIV, p. 261, &c. p. 279, &C. (27) Varron de ling. Latina, l. IV. Dionys. Halycarn. l. XI. p. 76. Plutarch. In Romul. (28) Voyez ses paroles: «Sora (quis credat?) et Algidum terrori fuerunt. Satricum et Corniculum provinciae. De Verulis et Bovillis pudet; sed triumphavimus. Tibur nunc suburbanum, et aestivae Praeneste, deliciae, nuncupatis in capitolio votis petebantur. Idem tunc Faesulae, quod Carrae nuper. Idem nemus Aricinum, quod Hercynius saltus: Freghellae quod Gessoriacum: Tiberis quod Euphrates. Coriolos, quoque, proh pudor! Victos, adeo gloriae fuisse ut captum oppidum C. Marcius Coriolanus, quasi Numantiam aut Africam, nomini induerit extant, et parta de antio spolia, quos Moenius in suggestu fori, capta hostium classi, suffixit; si tamen illa, classis: nam sex fuere rostratae. Sed hic numerus illis initiis navale bellum fuit» (1). Properce a entrevu cette idée, mais confusément. "Cossus, at insequitur Veientes eaede Tolumni/Vincere dum Veios
posse, laboris erat./Nec dum ultra Tiberim, belli sonus, ultima praeda/Nomentum,
et captae jugera terna Corae" (2) (29) Virg. Aened. l. VIII. v. 185-370.
(30) Rien de plus difficile pour un écrivain élevé dans le luxe, que de peindre sans bassesse des moeurs simples. Lisez lEpitre de Penelope dans Ovide, vous vous y sentirez révolté de cette même rusticité qui vous enchante chez Homère. Lisez Mademoiselle de Scudéry, vous serez désagréablement surpris de retrouver à la cour de Tomyris la pompe de celle de Louis XIV. Il faut être fait à ces moeurs pour en saisir le ton. La réflexion a tenu lieu dexpérience à Virgile, et peut-être à Fenelon. Ils ont connu quil les falloit orner un peu, pour ménager la délicatesse de leurs concitoyens; mais quon choqueroit cette même délicatesse, si on les fardoit beaucoup. (31) Jaurois dû dire Alesia. Alexia est une leçon fautive de quelques éditions des commentaires; mais les plus anciens manuscrits, daccord avec les autres écrivains, portent constamment Alesia (1) (1) Notice de lancienne Gaule, par M. dAnville, p. 49. (32) Liv. l. IV. c. 59, 60. (33) Liv. l. XXX. c. 45, &c. Arbuthnots Tables, p. 181, &c. (34) Sallust in Bell. Catilin. p. 22. edit. Thysii. (35) Ce taux étoit de trois mille drachmes, ou douze mille sesterces pour le simple légionaire (1), du double pour le cavalier et le centenier, et du quadruple pour le tribun (2). La légion Romaine, depuis laugmentation de Marius (3), étoit de six mille fantassins, et de trois cens chevaux. Ce grand corps navoit que soixante-six officiers, savoir soixante centeniers et six tribuns. Voilà le calcul:
Suivant les calculs de M. Arbuthnot cette somme ne seroit que de £ 30. 705. 220, la drachme valant 7,3/4 sous lAngleterre (1). Mais quelques recherches que jaie faites, la drachme Attique des derniers tems, égale au dernier Romain en poids comme en valeur, valoit 8,1/5 de cette monnoye (2) (1) Arbuth. Tables, p. 15; (36) Liv. l. LXXXIX. Epitom. Freinsheim. suppl. l. LXXXIX. c. 34. Sur larticle des colonies militaires on peut consulter les Cenotaphia Pisana du Cardinal Norris. Le second chapitre de sa première dissertation contient des détails très instructifs sur cette matière. (37) Tacit. Annal. XIV. p. 249. edit. Lipsii. (38) Tacit. de Mor. German. p. 441. (39) Sallust. In Bell. Catilin. p. 40. Cicero in Catilin. Orat. II c. 9. (40) Racin. Mithrid. act. III. sc. I. (41) V. Donat. in Vit. Virgil. Virgil. Eclog., IX. V. 2 &c. (42) Virg. Georg. l. I. v. 40 § Varro de re Rustic. l. I. c. I. (43) Hic petit excidiis urbem miserosque penates, / Ut gemmâ bibat, et Sarrano dormiat ostro. Virg. Georg. l. II v. 505, &c. (44) Virg. Georg. l. IV. v. 125 et seq. (45) Il étoit du nombre des pirates auxquels Pompée avoit donnè des terres. V. Serv. in loc. et Vell. Pater. l. II, p. 56. (46) Virg. Georg. l. I. v. 512.
(48) Tillemont. Hist. des Emper. Tacit. Annal. l. I p. 39. Dionys. l. IV. p. 565. Sueton, in August. c. 49. (49) Clerici Ars Crit. l. I c. 1. (50) Il faut borner ce vrai au vrai histoire, à la vérité de leurs témoignages, et non de leurs opinions. Cette dernière espèce de vérité est plutôt du ressort de la logique que de celui de la critique. (51) Cest-à-dire, lautorité combinée avec lexpérience. (52) Il sagit principalement des élémens de la géométrie et de ceux de la critique. (53) Une définition claire de cette certitude sur laquelle on se disputoit, auroit pu abréger la controverse. "Cest la certitude historique". Mais cette certitude varie de siècle en siècle. Je crois en gros à lexistence et aux actions de Charlemagne: mais la certitude que jen ai, nest point égale à celle des exploits de Henri quatre. (54) V. Mém. de lAcad. des Belles-Lettres, tom. VI. p. 14-190. (55) Dissert. sur lIncertit. de lHist. Rom. p. 33-46. (56) Polyb. Hist. l. III. c. 22. (57) Spoponderunt consules, legati, quaestores, tribuni militum, nominaque eorum qui spoponderunt adhuc extant, ubi si ex foedere acta res esset praeterquam duorum fecialium non extarent. Tit. Liv. l. IX. c. 5. (58) Tit. Liv. l. VIII. c. 4. Le préteur Annius appelle le gouvernement des Romains, Regnum impotens. (59) V. Cleric. Ars Critic. l. II. c. 2 § 1, 2, 3. (60) Polyb. l. I. c. 20. (61) Je ne dis rien de la flotte qui parut devant Tarente. Je crois que les vaisseaux appartenoient aux habitans de Thuricun. Voyez Freinsheim Supplem. Livian. l. XII. c. 8. (62) Arbuthnots Tables, p. 225. Hist. du commerce des anciens, par Huet, c. 221. (63) On peut voir une autre hypothèse du célèbre M. Freret. Elle plait par sa simplicité, mais elle me paroît insoutenable.Voy. Mémoires de lAcadém. Des Belles-Lettres, tom. XVIII, p. 102, &c. (64) V. Bentley et Sanadon au v. 120 de lArt Poetique dHorace. (65) Horat. Ars Poet. v. 119 et seq. (66) En matière de géographie et de chronologie on doit peu compter sur lautorité dOvide. Ce poëte étoit dune ignorance grossière dans ces deux sciences. Lisez la description des voyages de Médée; Metamorph. l. VII. v. 350 à 402 et le XIV l. des mêmes Metamorph. Celle-là est remplie derreurs géographiques, qui donnet la torture aux commentateurs mêmes; et celui-ci fourmille de bévues chronologiques. (67) Serv. ad Virg. Aeneid. l. IV. v. 620. Dion. Halycarn. Antiq. Rom. l. I. (68) Racin. Iphig. act v. sc. dern. (69) Tit. Liv. l. I. c. I. (70) Virg. Aeneid. l. VII. v. 148 jusquà 285. (71) On peut douter cependant si cet épisode blesse la véritable chronologie. Dans le systême plausible du Chevalier Newton, Enée et Didon se trouvent contemporains (1). Les Romains devoient mieux connoître lhistoire de Carthage que les Grecs. Les archives de Carthage étoient passées à Rome (2). La langue Punique y étoit assez connue (3). Les Romains consultoient volontiers les Africains sur leurs origines (4). Dailleurs (et cest assez pour disculper notre peote) Virgile adopte une chronologie plus conforme aux supputations de Newton quà celles dEratosthène. Peut-être on ne sera pas fâché de voir les preuves de ce sentiment. Sept ans suffirent à peine au courroux de Junon et aux voyages dEnée. Cest Didon qui me lapprend; "-------------Nam te jam septima portat (1) V. Newtons Chronology of Ancient Kingdoms reformed (72) Thucydid. l. I. (73) Lucret. De Rer. Natur. l. VII. v. 1136, &c. (74) M. Freret croyoit les observations philosophiques des anciens plus exactes quon ne le pense. Quiconque connoît le génie et les lumières de M. Freret, sent le poids de son autorité. V. Mém. de lAcadém. des Belles Lettres, tom. XVIII, p. 97. (75) Cicéron envie la sort de son ami marius qui passa à la campagne les jours des jeux magnifiques de Pompée. Il parle avec assez de mépris du reste des spectacles: mais il sattache surtout aux combats des bêtes sauvages. "Reliquae sunt venationes, (dit-il) binae per dies quinque; magnifice, nemo negat, sed quae potest homini esse polito delectatio, cum aut homo imbecillus à valentissimâ bestiâ laniatur aut praeclara bestia venabulo transverberatur?" (76) Cicero ad Famil. l. VII. Epist. 1. (77) Horat. L. III. Ep. 1 v. 187 (78) V. Essais de Mont. vol. III. P. 140. Mon exemple étoit très bon, ma citation fort mauvaise. Jaurois dû recourir à loriginal (1), Vopiscus. Cet auteur rapporte à loccasion du triomphe de Probus, quon amena dans lamphitéâtre cent lions, autant de lionnes, cent léopards Libyens, le même nombre de Syriens, et trois cent ours. Je ne connois point de spectacle plus nombreux, mais les animaux que Gordien avoit assemblés, et dont se servit Philippe dans ses jeux séculaires, ét6oient plus curieux par leur variété et par leur rareté. Il y avoit trente-deux éléphans, dix élans, dix tigres, soixante lions apprivoisés, trente léopards apprivoisés, dix hyènes, un hippopotame, un rhinocéros, dix agrioleontes, dix camelopardali, vingt ânes sauvages, et quarante chevaux sauvages (2). Cest principalement dans la décadence de lempire et du goût, quil faut chercher cette magnificence. (1) On ignore ce quils sont. Saumaise lit argoleontes, des
lions blancs (a), Casaubon et Scaliger (b) agrioleontes, des lions
sauvages. (79) V. Strab. L. XVII. p. 816 edit. Casaub. (80) Tacit. in Vit. Agricol. c. 10. (81) Herodian. Hist. l. III c. 47. (82) Voci le paroles dHérodien: "Tà gàr plesta tes Bretannòn chóras epiklúzomena tais tou okeanou sunechòs àmpotisin elòde gínetai". Tacite sexprime dune manière encore plus forte. "Unum addiderim (dit-il), nusquam latius dominari mare; multum fluminum huc atque illuc ferri, nec littore tenus accrescere aut resorberi, sed influere penitus atque imbire; etiam jugis atque montibus influere velut in suo". (83) Le consul Céthégus dessécha ce marais a. u. C. 592. Du tems de Juls-César il étoit derechef inondé. Ce dictateur avoit dessein dy faire travailler. Il paroît quAuguste le fit; mais je doute que ses travaux ayent mieux réussi que les premiers. Du moins Pline lappelle encore marais. Horace lavoit en quelque sorte prédit. "Debemur morti nos nostraque/ Sterilis ut palus dudum aptaque remis/Vicinas urbes alit et grave sensit aratrum". Freinsheim Supp. l. XLVI c. 44, Suet. l. I c. 34, Plin, Hist. Nat., l. III c. 5. (84) Depuis quEpicure eut répandu sa doctrine, on commença à se déclarer assez publiquement sur la religion dominante, et à ne la regarder que comme une institution. V. Lucret. De Rer. Natur. l. I v. 62, &c. Sallust. In Bell. Catilin. c. 51. Cicero pro Cluent. c. 61. (85) Athée en niant sinon lexistence, du moins la providence de la divinité; car César étoit Epicurien. Ceux qui ont envie de v oir comment un homme desprit peut rendre obscure une vérité claire, liront avec plaisir les doutes que M. Bayle a su répandre sur les sentimens de César. V. Dict. de Bayle à larticle César. (86) V. Mémoires de lAcad. des Bell. Lett. tom. I p. 369 &c. (87) Cicero ad Attic, l. XII. epist. 46,&c. l. XIII. epist. 28. (88) César étoit souverain pontife, et ce sacerdote nétoit point pour les empereurs un vain titre. Les belles dissertations de M. De la Bastie sur le pontificat des empereurs convaincront les incrédules, sil en est, sur cet article. Consultez surtout la troisième de ces pièces insérée dans les Mém. de lAcad. des Belles-Lettres, tom. XV. p. 39. (89) Lucrèce, né avec cet enthousiasme dimagination, qui fait les grands poetes et les missionnaires, voulut être lun et lautre. Je plaindrois le théologien qui ne feroit pas grace au dernier en faveur du premier. Lucrèce, après avoir prouvé la Divinité malgré lui-même, en rapportatnt les phénomènes de la nature à des causes générales, cherche comment lerreur quil combat a pu semparer de tous les esprits. Il en trouve trois raisons: I. Nos somges; nous y voyons des êtres et des effets que nous ne rencontrons point dans ce monde; nous leur accordons aussitôt une existence réelle et une puissance immense. II. Notre ignorance de la nature, qui nous fait recourir par tout à laction de la Divinité. III. Notre crainte, loeffet de cette ignorance; elle nous engage à flechir devant les calamités qui ravagent la terre, et nous fait essayer dappaiser par nos prières quelque être invisible qui nous afflige. Lucrèce exprime cette dernière raison avec une énergie et une rapidité qui nous enlève. Il ne nous accorde point le tems de lexaminer. "Praeterea cui non animus formidine Divûm, Lucret. De Rer. Natura, l. V. ver. 1216 &c. (90) Fonten. dans lEloge du Marq. de Dangeau. Editorial note
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