Eliohs: Electronic Library of Historiography
01
 
Collane Catalogo Generale Altre Risorse Home

Comte de Hertzberg
Ministre d'État, Curateur & Membre de l'académie.

Mémoire sur le vrai caractère d'une bonne histoire, et sur la seconde année du règne de Fréderic Guillaume II, Roi de Prusse.

Comte de Hertzberg, Mémoire sur le vrai caractère d'une bonne histoire, et sur la seconde année du règne de Fréderic Guillaume II, Roi de Prusse
URL: testi/700/hertzberg/hertzberg.html
© Html edition

Lu dans l'assemblée publique de l'Académie des Sciences de Berlin, le 21 Août 1788,

Nous sommes assemblés aujourd'hui pour célébrer, selon l'ancien usage de notre Académie, le second anniversaire du règne du Roi régnat, & pour nous réjouir de l'heureuse année que nous avons passée sous sa domination. Comme je suis depuis huit ans dans l'habitude, qui a trouvé quelque approbation, de rendre à l'Académie & au public un compte abrégé des principales transactions du Gouvernement Prussien dans le cours de [.289 ] l'année, en y ajoutant mes observations sur quelques objets de l'histoire & de la politique analogues aux circonstances du temps, je crois bien faire de m'acquitter aujourd'hui de cette double tâche, en communiquant à l'Académie & à cette assemblée quelques réflexions sur l'utilité, la nécessité, & l'idéal ou le vrai caractère d'une bonne histoire pragmatique. Ma position, & mon loisir circonscrit, ne me permettent pas d'épuiser cette matière intéressante. Je n'ai pas pu relire, & je ne veux pas récapituler ici tout ce que Bodin, Lenglet du Fresnoy & d'autres auteurs ont écrit sur cette matière, ou ce que la plupart des historiens en ont dit eux-mêmes au commencement de leur histoire. Je me bornerai à exposer en abrégé mes idèes particulières, & quelques observations faites à la hâte, & qui sont l'abstraction ou le résultat de ce que j'ai lu, vu, ou appris durant les quarante-trois ans que je sers la Monarchie Prussienne, & que j'ai eu quelque part à son adfministration publique. Deux motifs particuliers m'ont fait choisir cette matière; d'abord la publication des oeuvres postumes de Fréderic II, & de l'histoire de son temps écrite par lui-même, & que je crois approcher beaucoup de la perfection d'une bonne histoire; ensuite le trop grand nombre d'ouvrages historiques sur la vie de Fréderic II, publiés par des écrivains qui n'ont ni les matériaux ni les qualités nécessaires pour écrire une histoire bonne & vraie, & qui publient tant d'anedoctes & de faits faux ou incertains, qu'il faudroit plus de peine pour les réfuter & pour rectifier leurs erreurs, que pour écrire une histoire exacte de ce grand Roi.

Si l'histoire est un recueil raisonné & suivi des revolutions & des événemens remarquables par lesquels les nations & les gouvernemens ont passé, si elle doit offrir le précis des actions des hommes publics & particuliers, elle sert à instruire & à éclairer les lecteurs, elle leur présente le récit des faits publics, des exemples de vertus & de vices, de grands exploits & des fautes, ainsi que de bons & de mauvais succès; elle est par conséquent la meilleure école des Princes, des hommes d'État, & de tous les hommes en général, tant pour la morale que pour la politique, magistra vitæ, comme l'appelle Cicéron. L'essentiel de l'histoire consiste donc dans la vérité & la certitude des faits qu'elle rapporte, & dont le jugement appartient tant au lecteur qu'à l'historien même. Cette certitude des faits doit donc être constatée d'une manière aussi sûre, vraie & digne de foi, que possible. Celui qui écrit une histoire ancienne & antérieure à son temps, doit à mon avis l'appuyer & la prouver par le témoignage des auteurs contemporains, des actes publics & des chartres, & non seulement les allèguer avec exactitude, mais aussi mettre au bas du texte les principaux & les plus essentiels passages qui servent de preuves, sans y mêler ceux des auteurs postérieurs & modernes. A l'égard de ces sortes d'histoires je proposerois pour modèle celle des [290] anciens Germains écrite par le célèbre Mascow, & celle de M. Schmidt, qui cependant ne cite pas assez, tandis que Struve, Hahn & d'autres compilateurs de l'histoire d'Allemagne, citent trop. Mais je n'approuverois pas également la plupart des histoires générales anciennes, telles que celles de Mariana, de Daniel, de Rapin, de Barre, de Dalin, pas même celle de Muratori, de Robertson & de Hume, parce qu'elles ne rapportent ou ne citent que peu ou point d'auteurs & de témoignages contemporains, & obligent par conséquent les lecteurs à s'en rapporter entièrement à leur foi & à leur jugement. Ce défaut peut aussi être reproché à tous les auteurs de l'histoire ancienne, tels qu'Hérodate, Denys d'Halycarnasse, Tite-Live, Dion Cassius, ainsi qu'à presque tous les meilleurs historiens anciens & modernes, dont la foi est par-là beaucoup diminuée & devient sujette à beaucoup de précautions & de discussions. Toute histoire d'un temps fort antérieur à l'époque dans laquelle l'historien a vécu, n'est qu'une compilation, qui ne mérite de foi qu'autant qu'elle est appuyée sur le témoignage d'auteurs ou de monumens contemporains dignes de créance. Cette seule raison détruit la maxime vulgaire, qu'une histoire ne doit jamais être écrite durant la vie de ceux qui y sont intéressés. Toute histoire écrite longtemps après la vie des acteurs, ne peut jamais être suffisamment constatée & vérifiée, parce que les témoins & les preuves des contemporains y manquent. Une histoire bonne, véritable, & mise au dessus de toute exception, devroit être écrite, à mon avis, ou par les principaux acteurs mêmes, ou si ceux-là n'ont pas la volonté, le loisir, ou la capacité nécessaires pour cet effet, par un historien d'office, un écrivain habile, autorisé par le gouvernement, & qui soit à portée de consulter les principaux acteurs, les archives, les relations des Ministres, & tous les monumens publics & particuliers nécessaires pour composer une bonne histoire; enfin par quelqu'un de ces historiens d'office, qui selon une certaine tradition, existent dans les Empires de la Chine & de la Turquie. On peut, il est vrai, objecter qu'une histoire écrite par les contemporains seroit toujours suspecte de partialité & d'adulation, parce qu'on peut supposer que l'historien n'oseroit jamais publier des faits & des vérités désavantageuses aux acteurs puissans; mais il est possible & même aisé d'bvier à cet inconvénient & à cette crainte assez fondée, si l'on ne publie pas une pareille histoire du vivant des principaux acteurs. Par cette raison Pusendorf n'a publié son histoire de Gustave Adolphe & du grand Electeur que quelque temps après leur mort, & même Fréderic II n'a pas voulu permettre que son histoire fût publiée pendant sa vie, afin que le public fût d'autant plus libre pour la juger. Si nous parcourons la classe des bonnes histoires écrites par les acteurs mêmes, nous n'en avons qu'un très-petit nombre. Je n'oserois y mettre dans toute la suite des [291] siècles que Xénophon, Thucydide, Polybe, Jules César, & Frèderic II, qui en léguant au public dans ses ouvrages postumes l'histoire de son temps, a consacré à la postérité une histoire qui me paroît préférable à toutes les autres, parce qu'elle embrasse le grand espace de quarante huit ans, & des époques aussi mémorables que celles d'aucune autre histoire; parce que l'histoire a été le principal acteur de toute cette histoire comme Roi, législateur, négociateur & général, & qu'il l'a écrite avec une modestie & une impartialité qui ne laisse pas le moindre doute sur la vérité des faits.

Quant à la seconde c lasse, je veux dire, les historiens d'office, je n'en connois aucun, dans les temps anciens & modernes, qui ait rempli cette grande tâche avec dignité, & qui y ait été appelé avec tous les secours nécessaires, que le célèbre Samuel de Pusendorf, qui a écrit l'histoire du grand Gustave Adolphe & de Charles Gustave, Rois de Suède, sur la foi des archives de Suède; & celle du grand Electeur de Brandebourg, Fréderic Guillaume, sur la foi des archives de Berlin, qui lui ont été ouvertes, & dont il a composé toute son histoire, en tirant l'essentiel de la corrispondance des Princes & des relations de leurs Ministres. Les principaux défauts qu'on peut lui reprocher, sont, qu'il a été trop prolixe & diffus, en copiant servilement les instructions & les relations des Ministres, & qu'il n'a pas été aussi exact dans le récit des exploits militaires, dont il n'étoit pas juge assez compétent, & pour lesquels on ne publioit pas dans ce temps-là des relations aussi exactes & aussi abondantes qu'on le fait de nos jours. A cet égard l'histoire de mon temps de Fréderic II & celle de M. De Tempelhoff sont de beaucoup supérieures à celle de Pufendorf. Si l'on excepte ces deux défauts, les trois ouvrages de Pusendorf sont à mon jugement de véritables dépôts des archives, & des répertoires pour la politique & le droit public, & pour l'histoire qu'il a écrite, & ils constituent la véritable histoire de ces héros & de leur règne. On célèbre à la vérité, & on met avec raison au plus grand prix les histoires de Tacite, de Salluste, de Procope, de Guicciardin, de Paul Jove, de Sleidan, du Président de Thou, de Vittorio Siri, de Robertson, de Hume; les ouvrages de Tacite, de Salluste, de Guicciardin & d'autres sont aussi écrits avec plus d'esprit, de jugement, de sel & d'intérêt, que les ouvrages froids & trop diffus de Pusendorf: mais après tout ce ne sont que d'excellentes compilations historiques; ils ne sont pas aussi originaux & ne méritent pas la même foi & créance, parce que tous ces historiens n'ont pas eu l'accès & l'usage des archives, & n'ont pu compiler leur histoire que sur les relations publiques, sur les bruits populaires & sur les traditions des personnes qui sont rarement acteurs & juges compétans des événemens; par conséquent leur histoire n'a pu être aussi complète, aussi impartiale & aussi parfaite que celle d'un historien d'office, tel [292] que nous avons représenté Pusendorf. Les ouvrages historiques du grand, & d'ailleurs incomparable Tacite, ne sont pas exempts de ce défaut, parce qu'il n'a eu ni part au gouvernement, ni accès aux archives, & qu'il n'a écrit que sur ce qu'il a pu observer & apprendre dans le public. L'histoire de mon temps, que Frédeeric II nous a laissé, réunit àla vérité les principales qualités qu'on peut exiger d'une histoire écrite par l'acteur lui-même, & par l'historien d'office. Il y a décrit avec la plus grande impartialité tout ce qu'il a fait lui-même comme Roi, comme Général & Ministre; on peut se reposer sur sa mémoire, sur sa véracité, sur son exactitude & son impartialité, ce qu'attesteront tous ses contemporains, témoins & co-acteurs de sa vie & de sa brillante carrière; il a consulté les archives, s'en est fait faire des extraits & a aidé ainsi sa mémoire. Je puis moi-même certifier tout cela, comme ayant fait pour lui une grande partie des extraits des archives, & ayant eu entre mes mains tous ses papiers & beaucoup de part à ses principales négociations. Cependant je ne dissimulerai pas que l'exactitude & le détail manquent encore beaucoup à cette histoire d'ailleurs excellente. Fréderic II n'avoit pas assez de loisir pour donner cette perfection à son histoire; il étoit trop bon Roi, trop assidu & trop attaché à son métier principal, pour pouvoir être un historien parfait.

Je suis pourtant persuadé qu'un des plus grands services qu'on pourroit rendre à l'humanité seroit, qu'un homme qui réuniroit toutes les qualités d'un bon historien, entreprît d'écrire avec l'exactitude & le détail nécessaires toute l'histoire de Fréderic II, & qu'en prenant pour base l'histoire de ce Roi écrite par lui-même, & qui embrasse la politique & le militaire, ainsi que l'histoire militaire de la guerre de sept ans écrite par M. De Tempelhoff,il suppléât à ces deux excellens ouvrages par les recherches à faire encore dans les archives, & chez les militaires & les hommes d'État contemporains, & y ajoutât, comme pièces justificatives, les principaux mémoires, traités & sanctions de ce règne, en réduisant le tout à un bon précis historique. Une pareille histoire seroit l'histoire la plus intéressante qu'aucun siècle ait produite; elle fourniroit à la postérité le plus beau modèle d'un excellent gouvernement, & le plus grand & le plus lumineux tableau d'un État, qui médiocre dans sa surface & sa qualité, dans un danger imminent de destruction & dans une crise inouïe dans tout autre État, & produite par des circonstances & des fautes imprévues & inconcevables, en a été tiré par Fréderic II, & par quelques grands hommes qu'il a su s'associer, par leur sagesse, leur activité, leur vigueur, leur patriotisme, & a été poussé ensuite à un degré de grandeur & de félicité qui le met à côté des plus grandes monarchies de l'Europe, qui lui assure le respect & l'envie des voisins & une solidité intrinsèque difficile à détruire, & qui a imprimé tant au [293] gouvernement qu'à la famille régnante, & à la nation même, un caractère substantiel & indélébile, susceptible d'une durée permanente & même des plus grands accroissemens. Nous voyons déjà des preuves sûres & parlantes de ce que je viens d'avancer, dans les deux années du règne d'un Roi juste, sage & actif, qui se montre digne successeur de son grand oncle, & dans la perspective ultérieure de successeurs, qui imbus des principes de Fréderic II, & pénétrés de son exemple, ne respirent que l'envie d'être ses émules & d'atteindre un jour sa perfection & sa gloire.

Je me persuade en général, que rien ne contribueroit plus à avancer la prospérité des nations & des hommes, que si chaque gouvernement établissoit un historien d'office, qui tînt tous les jours un registre exact de ce qui ce fait dans l'administration & de ce qui se passe dans l'État, & chez les voisins relativement au même État; qui amassât les traités, les édits, les sanctions, les mémoires, les relations des Ministres & Officiers de l'État internes & externes, militaires & civils, & par conséquent tous les matériaux d'une bonne histoire; qui pût demander des éclaircissemens au Souverain, aux Généraux & aux Ministres; qui rédigeât là-dessus un précis historique de chaque année, & qu'après la mort du Souverain & après la fin de son règne, mais pas plutôt, un homme sage, habile, laborieux, vertueux, impartial & intrépide, qui réunît les qualités d'un bon historien, les talens & le caractère d'un Tacite, d'un Robertson & de Fréderic II même, rédigeât & publiât l'histoire du règne passé. Un pareil établissement d'histoire officielle, érigé en loi permanente, seroit le plus grand erncouragement & le meilleur frein, pour que les Princes & leurs co-opérateurs, Généraux, & Ministres, gouvernent & agissent bien; pour qu'ils évitent les fautes, les vices & la honte qui en résulte, & qu'ils tâchent de s'assurer l'amour & le suffrage de leurs contemporains & de la postérité, & l'immortalité de leurs noms. Ce seroit un parallèle & la réproduction de ce tribunal sévère, mais en même temps honorable, que les Égyptiens avoient établi après la mort de leurs Souverains, & qui, dit-on, existe en quelque manière actuellement chez les Chinois. Un prince bon, vertueux & habile ne redoutera pas, mais souhaitera plutôt ce tribunal, pour apprécier & pour constater sa mémoire; il ne sera redoutable que pour ceux qui n'ont pas la conscience & les intentions bonnes. Je sais bien qu'il faudroit pour un historien de cette sorte de grandes qualités & de talens presque égaux à ceux des acteurs de son histoire, s'il ne peut pas l'être lui-même. Je ne méconnois pas les difficultés qu'il auroit à surmonter pour être un historien judicieux, exact & impartial. J'aurois beaucoup à dire pour exposer & pour proposer tout ce qui seroit nécessaire pour écrire une pareille histoire parfaite en son genre, & pour en donner une idée [294] complète. Il me faudroit plus de temps & de loisir que je n'en ai actuellement, pour tracer cet idéal d'un établissement aussi nécessaire qu'utile, d'une manière aussi étendue que complète. Je le réserverai pour un autre temps; mais je crois en avoir assez dit pour que le public sage & impartial puisse juger combien l'histoire, cette science respectable & utile au genre humain, est altérée & gâtée par ces écrivains mercenaires & malévoles, par ces prétendus historiens & annalistes, par ces compilateurs de diatribes & de brochures publiques, par ces Arétins de nos jours, qui usurpent le titre & la fonction vénérable d'historien, qui vendent leurs plumes au public & aux particuliers, & qui n'ayant pour matériaux que les gazettes & les bruits publics, y suppléent par une imagination ardente & partiale, & par la méchanceté de leur cœur, qui s'érigent en censeurs & en juges souverains de toutes les actions des Princes & des gouvernemens, sans avoir aucune connoissance suffisante & suivie, ni de ces actions, ni des événemens, ni de leurs causes & ressorts, que celle que les papiers publics leur fournissent & que l'esprit de parti, de méchanceté & de vénalité leur dictent. Je pourrois alléguer des exemples modernes & récens de pareilles productions, dont le public est déjà inondé, & dont il est encore menacé, & qui ne servent qu'à défigurer la bonne histoire & à la rendre douteuse. C'est surtout le cas de l'histoire de Fréderic II & de la Monarchie Prussienne; mais il se trouvera tôt ou tard quelque censeur compétant, qui en examinant d'après les règles d'une juste critique ces prétendues histoires, montrera au public l'ignorance, l'insuffisance & la malice de leurs auteurs, & vengera ainsi les droits de la vérité & de la véritable histoire.

Après avoir ainsi exposé une partie de mes idées & de mes observations sur l'utilité & sur l'usage d'une bonne histoire, que je ne puis pas encore exécuter dans ma position présente, je tâcherai pourtant d'y contribuer, en y fournissant les matériaux, & en continuant à la suite des mémoires que j'ai lus dans les séances publiques del'Académie des années précédentes, de rendre aujourd'hui un compte rapide & succinct des transactions de la seconde année du règne du Roi régnant aujourd'hui, & dont l'anniversaire tombe au 17 Août. Je commencerai comme autrefois par celles qui regardent les affaires publiques & étrangères. J'ai déjà indiqué à la fin de mon mémoire académique précédent la source des troubles qui ont divisé la République des Provinces Unies des Pays-bas & la part que le Roi y a prise comme voisin de la République & comme frère de Mad. la Princesse d'Orange. Cette respectable Princesse, qui avoit été obligée, par des procédés outrageans du parti patriotique envers son Époux le Prince Stadhouder & par la suspension arbitraire du commandement de la garnison de la Haye, de se retirer de cette ville dans celle de Nimègue, voulut essayer de ramener [295] l'union & la tranquillité par sa médiation, & se mit pour cet effet en chemin, pour se rendre à la Haye, comme dans la résidence des États Généraux & des États particuliers de la Province de Hollande; mais elle fut arrêtée le 10 de Juillet 1787 dans la ville de Schoonhoven par les troupes & les commissaires du parti patriotique, traitée avec ignominie & renvoyée à Nimègue. Le Roi ne pouvant pas être indifférent à l'affront qui lui avoit été fait dans la personne de Madame sa sœur, en fit demander satisfaction aux États de Hollande, en leur proposant cependant en même temps sa médiation, & des points d'accommodement aussi justes que modérés, par un mémoire que M. de Thulemeier, Son Envoyé Extraordinaire, leur remit. Ayant reçu après un long délai une réponse partie déclinatoire, partie évasive, Sa Majesté résolut de se procurer cette satisfaction, en cas de besoin, Elle-même, & fit marcher pour cet effet dans le mois d'Août un corps de 20000 hommes, sous les ordres de Monseigneur le Duc régnant de Bronswic, dans son duché de Clève. M. de Thulemeier demanda de nouveau, par un mémoire du 9 de Septembre, que les États de Hollande donnassent une satisfaction à la Princesse d'Orange, en lui demandant excuse de l'offense, en lui offrant la punition de ceux qui lui avoient manqué, & en l'invitant à se rendre à la Haye, pour travailler à la pacification. Ce Ministre demanda une réponse satisfaisante dans quatre jours de temps. Les États de Hollande ayant répondu qu'ils persistoient dans leur résolution précédente, mais qu'ils enverroient une députation à Berlin, non pour réparer, mais pour justifier leurs procédés, le Duc de Bronswic entra le 14 Septembre avec son corps d'armée dans la province de Gueldre, & ensuite dans celle de Hollande, où il fit publier une déclaration au nom du Roi, contenant les raisons de cette marche, & exhortant les habitans de la Hollande à ne pas s'y opposer. La ville de Gorkum, que les prétendus patriotes vouloient défendre, fut obligée de se rendre après quelques coups de canon. Les villes de Rotterdam, de Gouda & autres principales villes de Hollande, ouvrirent leurs portes & reçurent garnison Prussienne. La nombreuse garnison patriotique d'Utrecht, sous les ordres du Rhingrave de Salm, se retira le 15 vers Amsterdam & abandonna la ville d'Utrecht au Prince Stadhouder. La précédente majoriyté des États de Hollande quitta le 18 la Haye, & le Prince d'Orange y rentra le 20 & fut rétabli dans toutes ses charges & dignités par la nouvelle majorité des États de Hollande, qui s'étoient établis & formés à la Haye, après la retraite de la précédente majorité dirigée par le triumvirat patriotique. Les anciens magistrats légitimes des villes de la Hollande, dépossédés par les patrioters, furent rétablis, & ainsi une révolution entière fut opérée en cinq jours dans la plus grande partie de la province de Hollande sous les auspices du corps des troupes Prussiennes. [296] La ville d'Amsterdam, dans laquelle les patriotes s'étoient retirés en grand nombre, continua encore à s'opposer; mais le Duc de Bronswic s'étant avancé avec ses troupes par des marches savantes & bien combinées, prit les villes fortes de Naerden & de Lottum, & dans le combat qui se donna le 1 Octobre près d'Amstelveen, le Duc battit les troupes patriotiques, & se rendit maître de toutes les avenues de la ville, malgré les inondations qu'on tenta de faire en plusieurs endroits, en sorte que cette ville superbe & si peuplée qui avoit résisté à Louis XIV & à cent mille François, fut obligée de capituler avec une petite armée Prussienne, de lui ouvrir la Porte de Leide & de se soumettre aux résolutions de la majorité des États de Hollande. Ces États étant devenus unanimes, prirent la résolution de donner satisfaction à Madame la Princesse d'Orange, de révoquer toutes les résolutions prises précédemment contre le Prince Stadhouder & de le rétablir dans toutes les charges, dignités & prérogatives, dont il avoit joui auparavant, & de casser un Grand-Pensionnaire & une vingtaine d'autres Pensionnaires & Magistrats qui étoient les auteurs des troubles & des innovations faites contre le Stadhouderat, ainsi que de réformer & de désarmer toutes les bourgeoisies armées & les différens corps patriotiques armés. La tranquillité ayant été entièrement rétablie dans les Provinces Unies, par une expédition aussi courte que glorieuse, & unique dans son genre, Monseigneur le Duc de Bronswic, comblé de lauriers & des bénédictions de la majeure partie de la nation Hollandoise, ramena dans le cours du mois de Novembre le gros des troupes Prussiennes dans leurs anciens quartiers, en ne laissant qu'un corps de 4000 hommes sous les ordres du Général de Kalckreuth aux environs d'Amsterdam, pour y conserver le bon ordre, & qui y est resté jusqu'au printemps de l'année courante, où il a été relevé par les troupes de Bronswic & d'Anspach. La Cour de France, comme alliée de la République de Hollande, ayant fait quelques armemens au mois d'Octobre 1787, & la Cour d'Angleterre en ayant fait de son côté, les Ministres des deux Cours & celle de Berlin à Paris négocièrent pour appaiser ces alarmes, & les deux Cours de France & d'Angleterre convinrent par une déclaration réciproque de leurs Ministres, signée le 27 Octobre 1788, qu'on désarmeroit de part & d'autre, & qu'on ne conserveroit aucune vue hostile. Cette déclaration se fit sous la concurrence des deux Ministres du Roi, & cette triple déclaration, qui peut être regardée comme traité de paix, a mis le dernier sceau au rétablissement de la tranquillité générale, altérée en quelques façon par les troubles de la Hollande. C'est ainsi que le Roi a eu la gloire & la satisfaction d'avoir opéré une des plus grandes révolutions dans un État voisin, en quatre semaines de temps, sans grande effusion [297] de sang, par des résolutions promptes & vigoureuses, exécutées par la conduite sage & valeureuse du Duc de Bronswic, de ses Généraux & d'un petit corps de troupes Prussiennes; d'avoir rétabli la maison d'Orange dans tout son ancien lustre, d'avoir rendu à la République de Hollande sa liberté & sa tranquillité, & de lui avoir gratuitement rendu le même service qu'elle a reçu du bisaïeul du Roi, l'Électeur Fréderic Guillaume, en 1672, lorsqu'elle fut envahie par Louis XIV, & que le Grand Electeur ayant marché avec sa petite armée vers le Rhin, obligea le grand Roi d'évacuer la plus grande partie des Provinces Unies & de donner le temps aux Hollandois de se reconnoître, de rétablir par une révolution le Stadhouderat, & de sauver ainsi la République de sa destruction en Europe & de la nécessité de se réfugier à Batavia, vérité que le fameux auteur de la Lettre aux Bataves n'a pas pu se dispenser d'avouer. Que cet écrivain audacieux dise des injures à Fréderic II, à Fréderic Guillaume II, & à la nation Prussienne; qu'il ose même les menacer puérilement, il est & sera toujours démenti par la notoriété des faits, par les événemens, & par la justice du public. N'est-ce pas FrédericII, n'est-ce pas Fréderic Guillaume II, ne sont-ce pas les Prussiens, qui ont sauvé l'Allemagne, la Bavère & la Hollande, gratuitement, sans aucune vue ni demande de récompense, ni d'indemnisation, & avec un désintéressemenet généraux, & inconnu dans l'histoire de toutes les autres nations, à la face de toute l'Europe, contre des Puissances plus d'une fois supérieures en force, uniquement pour conserver à l'Europe cette liberté politique dont on ose dire que les Prussiens sont indignes, mais dont ils jouissent plus en effet que ceux qui s'en vantent & la réclament avec tant de bruit, sans savoir ni l'établir sur un pied stable, ni la soutenir? Ces Prussiens n'ont-ils pas observé en Hollande une discipline dont aucune autre nation n'est capable, & peut-on leur imputer ces excès que l'esprit de vemgeance a fait commettre à une partie de la nation hollandoise même contre l'autre? Le présent état tranquille & heureux de la Hollande, comparé avec les horreurs du précédent patriotisme, fournit la réfutation la plus complète de toutes les faussetés que le prétendu défenseur des Bataves a débitées dans son libelle contre l'illustre maison d'Orange, à laquelle la République doit sa naissance & sa conservation jusqu'à nos jours, comme un historien vrai & impartial pourra aisément le prouver par l'histoire de la Hollande même, & malgré toutes les interprétations forcées & artificieuses de l'auteur de la Lettre aux Bataves. Le corps de la République de Hollanade a mieux reconnu l'importance de la révolution, & du service généreux que le Roi lui a rendu. Elle l'en fit solennellement remercier par son Ministre le Baron de Reede, qui revêtu du caractère d'Ambassadeur pour cet effet, s'acquitta de cette commission éclatante dans une audience publique qu'il eut le 2 de [298] Janvier, par une belle harangue à laquelle Sa Majesté répondit Elle-même avec la véritable éloquence d'un Roi; c'est ainsi que la Cour de Prusse eut une ambassade & une scène aussi brillante & aussi unique dans l'histoire que l'a été l'expédition même de la Hollande. La République reconnut encore davantage l'utilité & la nécessité de la révolution, par une convention nouvelle que les sept provinces conclurent entre elles, pour se garantir mutuellement la conservation du Stadhouderat dans l'illustre famille d'Orange-Nassau, comme inhérente à la constitution essentielle de chacune de ces provinces, au lieu que cette constitution & celle du Stadhouderat avoit été auparavant fort différente dans plusieurs provinces. La même République a cru ne pouvoir mieux assurer & consolider sa constitution rétablie par la révolution, qu'en contractant un traité d'alliance défensive avec les Cours de Berlin & de Londres; lequel fut signé au même jour le 15 Avril 1788 à Berlin & à la Haye, mais avec chacune séparément, & dans lequel chacune de ces Cours se chargea de garantir à la République de Hollande le Stadhouderat & sa constitution renouvelée, & elles se promirent en même temps avec la République un secours déterminé contre tout agresseur. Ce traité reçut une nouvelle force par le traité d'alliance défensive que le Roi a conclu avec le Roi de la Grande Bretagne le 13 Juin à Loo, lorsqu'il fut en Hollande, & dans lequel les deux Cours s'engagèrent mutuellement à la garantie du Stadhouderat & de la constitution de la Hollande, & se promirent aussi un secours déterminé dans tous les cas d'une agression hostile par d'autres Puissances. Ces liaisons furent renforcées encore davantage par un nouveau traité d'alliance défensive plus général & plus étendu entre la Prusse & l'Angleterre, qui fut conclu & signé à Berlin le 13 Août 1788. On peut aisement juger par toutes les transactions & les circonstances que je viens de rapporter, avec combien de soin, de vigueur & de succès le Roi s'est appliqué pendant tout le cours de l'année passée à pacifier les trooubles d'un État voisin, à rétablir la connexion naturelle des Puissances, à assurer le côté droit de ses possessions & la tranquillité générale dans le Sud de l'Europe, pendant qu'il a assuré la tranquillité de ses États du côté du Nord, par une contenance pacifique, mais en même temps respectable.

Cet objet important, la pacification de la Hollande, n'a point diminué l'attention du Roi pour les affaires de l'Empire d'Allemagne. Il n'a pas cessé d'entretenir & de resserrer même les liaisons de l'union Germanique par des missions nombreuses dans les différentes Cours de l'Empire. Ayant perdu par la mort un habile Ministre à la Diète de Ratisbonne, le Baron de Schwarzenau, il l'a d'abord remplacé par un autre Ministre d'une habileté éprouvée, M. le Comte de Goertz, qui s'est signalé dans les trois missions importantes de Munich, de Pétersbourg & de la Haye, & qui n'a pas tardé [299] à justifier le choix du Roi à Ratisbonne, en rendant bientôt à cette auguste assemblée de l'Empire cette activité qui lui avoit manqué depuis long-temps, les délibérations ayant été poussées avec beaucoup de vigueur sur le meilleur arrangement des Sénats dans la chambre impériale de Wezlar. Le Roi, comme Électeur de Brandebourg, a le plus contribué par son grand nombre de suffrage à faire prendre à la Diète une résolution par laquelle on donne au premier & suprême Tribunal de l'Empire & à son administration de la justice, une nouvelle force & ac tivité. Cet échantillon fait voir que l'union Germanique ne s'endort pas, & qu'elle remplit, selon le cours possible des grandes affaires les attentes justes & raisonnables du public & des patriotes Allemands.

Si le Roi a ainsi dirigé & traité les grandes affaires publiques & étrangères pendant le cours de cette seconde année de son règne avec tant de vigueur & de succès, il n'en a pas fait moins à l'égard des affaires intérieures de l'État, en continuant cette marche, cet ordre réglé & immuable des choses, cette continuité & ce genre de vie suivi, dont Fréderic II avoit donné le ton & un si heureux exemple. Il a fait depuis le 14 d'Août jusqu'au premier de Septembre 1787 le voyage ordinaire de la Silésie; il a revu tout l'état de cette belle province & particulièrement de toutes les forteresses. Il a fait la revue de toute l'armée de Silésie avec les manœuvres usitées, & a laissé dans cette province des preuves réitérées de son attention paternelle & de ses soins pour elle, qu'un Ministre habile, M.le Comte de Hoym, ne cesse de seconder avec le plus grand succès. Au retour des manœuvres de Silésie, le Roi renouvela le 20 de Septembre près de Potsdam celles qui y sont exécutées ordinairement par les garnisions de Potsdam, de Brandebourg & une partie de celle de Berlin, pour tenir les troupes & les officiers dans un cours suivi d'exercices. Le temps de la belle saison étant fini, le Roi a passé la plus grande partie de l'automne & de l'hiver à Berlin, en donnant au public & aux étrangers les plaisirs usités de l'hiver & du carnaval, surtout dans la maison d'opéra rétablie dans un goût nouveau & frappant, par les soins d'un grand architecte, émule de Vitruve, de Perreault & de Schluter. Ce temps des plaisirs & du séjour du Roi à Berlin a été d'autant plus employé à préparer & à arranger les affaires tant extérieures qu'intérierures, & à leur donner un cours plus suivi. Le séjour à Berlin ayant fini avec le mois de Mars, le Roi s'est rendu à Potsdam & y a présidé pendant les mois d'Avril & de Mai à l'exercice des régimens de cette belle garnison, qui donne le ton & sert de modèle au reste de l'armée. Dans les jours du 21 jusqu'au 23 de Mai, il a fait à Berlin la revue ordinaire de la nombreuse garnison de cette capitale, en faisant exécuter des manœuvres nouvelles & savantes sous les auspices du grand & habile chef de cette [300] garnison, & ayant pour témoins & pour admirateurs un grand nombre d'étrangers & plusieurs grands Princes de l'Empire, tels que Messeigneurs le Landgrave de Hesse Cassel, & le Duc de Saxe Gotha. Après la revue de Berlin, le Roi fit dans une course rapide celle des troupes de la Nouvelle Marche, de la Poméranie & du duché de Magdebourg, ainsi que des provinces de Westphalie dans le cours du mois de Juin. C'est à cette occasion, & étant partout accompagné du digne héritier de la Couronne, qu'il a visité en passant les Cours de Bronswic & de Hanovre, qu'il a vu & examiné ses provinces de Westphalie, surtout les pays de Minden, de Clève & de la Mark, riches en fabriques de toiles & de fer, auxquelles il a donné tous les encouragemens possibles proposés par le digne Ministre de cette province, qui l'a accompagné. C'est encore à cette occasion qu'un Roi de Prusse à reçu pour la première fois à Wésel une ambassade du Pape & a été solennellement reconnu par la Cour de Rome dans cette qualité auparavant contestée. Mais ce qu'il y a eu de plus intéressant dans ce voyage, c'est qu'il a poussé jusqu'au château de Loo en Gueldre, où il a revu sa sœur chérie & sa famille aimable, & où il a recueilli l'expression la plus touchante de la reconnoissance d'une grande partie de la nation Hollandoise, qui y étoit accourue pour connoître & pour bénir la personne de son libérateur & celle du successeur royal. Ce séjour de deux jours seulement a été rendu encore plus mémorable & plus intéressant par la signature d'un traité d'alliance défensive entre la Prusse & l'Angleterre, calculé principalement pour le maintien de la constitution & de la liberté des Provinces Unies. Ce voyage de Westphalie ayant fini à la mi-Jiun & le Roi ayant été rendu à son séjour ordinaire de Potsdam & de Charlottembourg, il l'employa en partie à régler & à revoir, avec ses Ministres d'État, le nouvel État des finances, qui commence ordinairement du premier de Juin, à veiller aux affaires étrangères, qui sont devenues si intéressantes dans le cours de cet été, & à se préparer pour le nouveau voyage de Silésie, qui commence à la mi-Août, justement à l'anniversaire de son règne. Ce fut le 13 Août, la veille de son départ pour la Silésie, que je parvins à signer à Berlin avec le Ministre d'Angleterre, le nouveau traité d'une alliance défensive entre la Prusse & l'Angleterre.

On jugera aisément par cet apperçu rapide & abrégé de tout le cours de la seconde année du règne présent, qu'il n'a pas été sans activité, mais que le Roi, ses Généraux, & ses Ministres suivant son exemple, l'ont passé & rempli avec cette énergie utile & ordinaire du gouvernement Prussien. Cette année a même été signalée & rendue remarquable par plusieurs bons & nouveaux arrangemens dans les différentes branches de l'administration, dont je toucherai seulement les principaux articles. L'État de l'armée & [301] tout le militaire a été considérablement amélioré & rectifié par les soins infatigables du Roi, & par son directoire général de guerre, établi dès le commencement du règne, & présidé par les Généraux les plus habiles & les plus expérimentés. On a réformé les régimens de garnison & on leur a substitué des bataillons de dépôt, qui servent à placer les invalides, & dont on tire des recrues exercées pour les régimens de campagne. On a joint un bataillon de grenadiers à chaque régiment & on a fait trois bataillons, chacun de quatre compagnies, de sorte que les grenadiers sont plus réunis & moins disperses. On a rendu l'enrôlement des recrues à chaque régiment, & on leur a donné plus de facilités, en abrégeant les capitulations & en assurant leur observation. La solde des troupes, surtout des officiers, a été augmentée & égalisée. Le nombre des officiers & des bas-officiers mêmes a été augmenté. Le corps d'artillerie a été mieux distribué & plus égalisé à tout égards. On a fait des changemens utiles & agréables aux uniformes des militaires. Le Roi a donné & assigné de grandes sommes pour l'entretien des invalides & pour leur faire bâtir des maisons dans chaque province. En général Sa Majesté a considérablement augmenté les depenses de l'État ordinaire de la guerre, pour le meilleur entretien de l'armée & il a également dépensé de grandes sommes, pour entretenir non seulement, mais aussi pour améliorer les forteresses, particulièrement celles de Graudentz & de Wésel.

L'État des finances & des domaines a non seulement été entretenu dans l'ancien bon ordre, mais aussi augmenté & amélioré, surtout à l'égard des bâtimens royaux. On a étendu & amélioré les digues le long des rivières de l'Oder & de la Warte près de Kustrin & aussi en Prusse; on a commencé à faire un canal près de Ruppin, pour avancer la réédification de cette ville incendiée; on a continué à faire une grande & belle chauffée dans le duché de Magdebourg. On a établi plusieurs haras considérables dans les Marches, dans la Prusse occidentale & en Lithuanie. On a fait venir quelques centaines de jumens de la Moldavie, & on espère de parvenir ainsi peu à peu à remonter la cavalerie dans le pays même, sans avoir besoin d'envoyer de grandes sommes au dehors. Le Roi a continué de faire bâtir un grand nombre de belles maisons à Berlin & à Potsdam, & d'en faire présent aux propriétaires. Il a en général dépensé & assigné de grandes sommes pour l'amélioration du pays & pour le soulagement de ses sujets, qui montent en tout à deux millions & demi, & desquelles je donnerai une liste détaillée à la fin de ce Mémoire.

La population du pays n'a pas diminué, mais a plutôt été augmentée, le nombre des naissances étant monté cette année à 212,000. [302]

On a craint quelque diminution des fabriques internes, parce que le prix de la laine, du coton & de la soie avoit beaucoup haussé, & que l'opinion s'est répandue qu'on permettroit l'entrée générale des fabrications étrangères; mais ce principe n'a pas prévalu, & le Roi a pris l'arrangement de ne permettre l'entrée des fabrications étrangèresd que pour une quantité limitée en Silésie & en Prusse, pour le débit étranger. Il a même assigné une somme annuelle de 150000 écus pour le soutien des fabriques du pays, pour donner des bonifications, pour faire des magasins & pour fournir des subventions aux petits fabricans. Moyennant ces encouragemens & les facilités accordées à la foire de Francfort, les fabriques ont eu un débit extraordinaire à cette foire, qui a été une des plus brillantes.

La culture du tabac a beaucoup augmenté cette année par la liberté générale accordée aux dépens des revenus du Souverain:

La culture de la soie, qui étoit beaucoup tombée par une suite d'hivers rudes & de mauvaises récoltes, s'est beaucoup améliorée cette année, sous la direction que le Roi m'en a confiée avec une augmentation de fonds, par mes soins infatigables & par les grands encouragemens que j'ai donnés aux cultivateurs des mûriers & de la soie, de sorte que le nombre en a du moins beaucoup augmenté, sur quoi je donnerai un compte particulier dans la prochaine assemblée publique, après que la récolte & la filature de la soie sera entièrement finie.

Le commerce extérieur doit avoir gagné, puisqu'on lui a donné plus de liberté, & qu'on a beaucoup diminué les droits de transit, surtout vers la Pologne & le Nord. La ville de Stettin, si bien située pour le commerce général des États Prussiens, a regagné une nouvelle branche de commerce par la permission qu'on lui a donné d'exporter le blé, ce qui se prouve surtout par le plus grand nombre de vaisseaux marchands qui tous les mois sont entrés au port de Swinemunde.

Les temps & les circonstances ne m'ont pas permis d'ajouter ici un tableau général de nos fabrications & exportations; je le réserve pour une autre occasion; mais je puis assurer, que s'il n'est pas supérieur, il n'est du moins pas inférieur à celui que j'ai communiqué dans mes Mémoires précédens.

Le département de justice continue à faire de grands progrès par les soins de notre infatigable & patriotique Grand Chancelier, qui publie successivement son code de lois, & le perfectionne par la libre censure du public, ainsi qu'il a consolidé de plus en plus le nouveau système de procédure, ce qui se vérifie aussi par la grande diminution des procès. Le système de crédit, qu'il a introduit en Silésie, en Poméranie & dans l'Électorat de Brandebourg, vient aussi d'être étendu tant à la Prusse orientale [303] qu'occidentale. La circulation de l'argent & la valeur des terres, ainsi que leur culture même, a beaucoup augmenté par ce moyen dans la dernière province; l'émigration de la Noblesse Polonoise cesse presqu'entièrement, & ce pays autrefois à peu près désert, devient une des plus belles provinces.

Le Roi a beaucoup augmenté le fonds destiné pour l'amélioration des écoles. Tout le monde sait l'attention qu'il donne au maintien de la religion, sans cependant gêner ni la liberté de penser, ni celle de la presse, & sans arrêter les progrès de l'esprit philosophique.

Je crois que tout ce que je viens d'exposer des transactions de l'année passée, suffit pour faire voir qu'il existe toujours dans le gouvernement Prussien & dans la nation, ce caractère & cet esprit de vigueur & d'énergie. d'activité militaire & civile, de générosité & de justice, que Fréderic II nous a transmis, & qui nous paroît assuré par une succession non interrompue de Souverains bons, habiles & actifs, qui aiment la nation, & qui sont dignes d'en être aimés.

Je finirai en lisant le tableau des sommes extraordinaires que le Roi a assignées dans le cours de l'annèe passée pour le bien & le soulagement de ses États & de ses sujets, qui montent à deux millions & demi, & qui fournissent une nouvelle preuve non douteuse de sa munificence, de son esprit public & en même temps du bon état de ses finances, parce qu'elles sont prises sur l'excédent des revenus de l'État & ne dérogent pas à la dépense courante & au trésor royal, qui est essentiel à la Monarchie Prussienne.

Sommes assignées gratuitement par le Roi, depuis le 1 Juin 1787 jusqu'au 1 Juin 1788, à ses États & à leurs habitans.

Marche Électorale de Brandebourg.

1) Pour la construction d'édifices publics &   
la bâtisse de maisons de particuliers, à Berlin & à Potsdam
540,000 Écus
2) Pour l'amélioration des terres de la Noblesse dans la Marche
108,000  "  
3) Pour creuser un canal pour le transport des tourbes de Linum 
20,000  "  
4) Pour la réédification des bâtimens dans le domaine du Roi 
50,000  "  
5) Pour l'entretien des canaux          "   "     "      "
10,000  "  
6) Pour l'accroissement des fabriques   "   "     "      "
150,000  "  
7) Pour des plantages de mûriers, & la culture de la soie 
6,000  "  
 
-------------
 
884,000  "  
[304.] 
 
Transp. 
884,000 Écus
8) Pour des amèliorations dans les mines dans le domaine du Roi
20,000  "  
9) Pour établir des haras                  "   "     "      "
200,000  "  
10) Pour l'entretien & l'établissement des invalides  "  "  "
100,000  "  
11) Pour bâtir un hôtel des invalides à Strausberg "  "  "  "
36,000  "  
12) Payé à compte sur les frais de bâtisse de 4 hôtels 
des invalides
dans la Marche
60,000  "  
13) Indemnisation extraordinaire des chefs & des subalternes des 
régimens de garnison, réformés
 
12,000  "  
14) Ajouté au fond de la Commission des écoles 
7,000  "  
15) Pour bâtir & réparer des Maisons de Curés 
5,000  "  
16) Pour bâtir une Maison d'école à Brandebourg 
3,000  "  
17) Subvention accordée à la Maison des orphelins de Potsdam
4,000  "  
18) Pour bâtir un corps de garde à Brandebourg
2,000  "  
19) A la ville de Ruppin incendiée
30,000  "  
20) Pour les maisons & les bains à Freyenswalde 
10,000  "  
 
-------------
 
1,373,000  "  
Nouvelle Marche.
 
21) Pour mettre les bords de l'Oder & de la Warte 
à l'abri des inondations
60,000  "  
22) Pour des bâtissent & réparations dans les balliages
10,000  "  
23) A la Maison des orphelins de Zullichau
14,000
24) Pour 44 Maisons de journaliers
6,000
 
-------------
 
90,000
 
 
Poméranie
 
25) Pour des améliorations en Poméranie 
& dans la Nouvelle Marche
90,000
26) Bâtisses & réparations dans les bailliages
15,000
 
-------------
 
105,000
 
 
Prusse orientale
 
 
 
27) Pour le fonds de l'établissement du crédit
200,000
28) Pour les améliorations dans la Prusse orientale 
& occidentale
100,000
29) Pour bâtir un hôpital des fous à Koenigsberg
12,000
 
-------------
 
312,000
Prusse occidentale
 
30) Pour la forteresse de Graudenz
250,000
31) Pour rebâtir la ville de Krojancke incendiée
3,300
32) Intérêts d'un capital de crédit pour cette province
4,000
 
-------------
 
257,300
 
 
Duché de Magdebourg
 
 
 
33) Pour la construction des chaussées
50,000
34) Pour diverses améliorations
20,000
 
-------------
 
70,000
 
note